Karine Gillard,  du SNFOCOS, a assisté le 1er février 2017 au Café Social organisé par Miroir Social sur le droit à la déconnexion.

L’occasion pour le SNFOCOS de faire un point sur ce droit (aspect juridique et exemples d’accords déjà mis en œuvre) tout en relatant les échanges de cette matinée.

3 intervenants étaient conviés par les organisateurs de ce café social :

  • Jean-Claude Delgènes, fondateur du Cabinet Technologia (JCD)
  • Samuel Gaillard, avocat spécialisé en défense collective et individuelle des salariés (SG)
  • Bernard Fauré, manager des risques numériques (BF)

L’occasion pour eux de nous présenter les implications de ce nouveau droit pour les salariés et sa mise en œuvre concrète au sein des entreprises non sans rappeler son origine.

Petit rappel préalable : ce droit à la déconnexion a été instauré par l’article 55 de la loi travail et est en application depuis le 1er janvier dernier. Concrètement depuis le 1er janvier 2017, les entreprises doivent engager une négociation concernant le droit à la déconnexion de leurs salariés. Ce droit s’appliquera à tous les salariés dans les entreprises de plus de 50 salariés.

Article L2242-8 du code du travail stipule désormais que :

La négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte sur : (alinéa 7)

Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.

Selon Jean-Claude Delgènes, le droit à la déconnexion protège le salarié de l’hyperconnexion, facteur de risques psychosociaux. Il ne se comprend que si on comprend la montée de l’épuisement professionnel. Il répond à l’exigence d’une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles et serait une contrepartie à la non reconnaissance du burn out.

Le développement de l’usage des outils numériques dans le monde professionnel a bouleversé le travail. Les modes de communication permettent d’être connecté en permanence et l’individu joignable à tout moment.

Aujourd’hui le travail est partout.  23 %  des cadres disent ne jamais se déconnecter pendant leurs congés selon une étude APEC. 49% des cadres travaillent le soir.

Ce droit à la déconnexion, ce nouveau droit dont la France est le premier pays en Europe à se doter, va permettre de réguler cette situation. Il va sans aucun doute être accompagné par une jurisprudence qui étendra cette pratique de la déconnexion à l’ensemble des salariés.

Selon Jean-Claude Delgènes demain la règle sera la déconnexion.

Il faut ainsi assurer le respect de l’équilibre vie privée – vie professionnelle.

Comment mettre en place cette déconnexion ? En négociant des accords, en faisant de l’information sur les risques du surinvestissement, en exigeant l’exemplarité.

Bernard Fauré croit également qu’expliquer les risques des usages c’est rendre les gens vigilants et avisés, et c’est leur donner des réflexes. Tout passe par la sensibilisation des acteurs à l’impact que les TIC ont sur eux.

Pour Samuel Gaillard le droit à la déconnexion peut mettre fin à des situations d’abus, même si aujourd’hui aucune sanction n’est prévue par la loi.

Il alerte sur le fait que pour appliquer ce droit il faut quasiment faire du cas par cas, qu’il faut donc aussi en amont engager une réflexion sur la charge de travail.

Ce droit à la déconnexion s’applique aussi aux salariés au forfait jours (le forfait jours nous vous le rappelons rémunèrent des salariés, essentiellement des cadres, sur la base d’un nombre de jours travaillés sur l’année sans décompte du temps de travail, qui disposent d’une grande liberté pour organiser leur emploi du temps).

Ce droit concerne tous les salariés, y compris ceux concernés par le télétravail qui ont tous besoin de pédagogie pour qu’il puisse être exercé.

Pour la mise en place de ce droit, la pédagogie est donc nécessaire et  privilégiée, cependant il est aussi utile de prévoir pour la négociation au sein de l’entreprise, des audits sur la charge de travail, sur les flux informatiques de connexion. Il faut s’aider d’outils d’enquête et de sondage, se faire accompagner par un expert, recenser un recueil de pratiques (chez les forfaits jours notamment), apporter des préconisations concrètes à la négociation qui doivent être souples (on ne peut pas appliquer les mêmes contraintes à tous les salariés).

Selon Samuel Gaillard il faut que les représentants du personnel aient une approche pragmatique qui élargisse la question de la charge de travail à celle du droit à la déconnexion. Et si pas d’accord il faut à minima prévoir l’élaboration d’une charte.

Enfin rappelons que conformément à ce que le SNFOCOS préconise sur sa plateforme revendicative, Jean-Claude Delgènes rappelle que la déconnexion ne doit en aucun cas devenir un devoir, ce qui serait très dangereux pour le salarié qui pourrait se voir opposer un motif de licenciement en cas de manquement.

De nombreux échanges ont eu lieu dans la salle suite à l’intervention des 3 invités :

Notamment sur la question de la charge de travail et son évaluation qui peut s’avérer difficile du fait qu’elle ne correspond plus aujourd’hui au temps de travail (par des entretiens annuels individuels), sur le sens du travail (perte de sens), sur la culture du présentéisme (engendrée par la précarité virtuelle, la peur du déclassement) et les catastrophes humaines et sur la santé que cela engendre (sur la sécurité informatique liée à l’utilisation des outils personnels des salariés), sur la régulation entre vie privée et vie professionnelle.

 

Pour conclure :

Le droit à la déconnexion est une avancée, il permet de mettre des gardes fous,  il doit faire l’objet d’accords dans les entreprises, à défaut une charte, il doit exister aussi pour les forfaits jours, il est indissociable d’une prise en compte de la charge de travail quasiment au cas par cas, doit être accompagné par un travail pédagogique, ne peut pas être assorti de mesures contraignantes, les Institutions représentatives du personnel, les organisations syndicales doivent s’emparer de ce sujet, pour qu’il devienne une réalité.

Selon Jean-Claude Delgènes : un droit qui ne s’applique pas disparait.

Pour sa mise en place quelques pistes ont été évoquées :

  • Fixer des horaires après lesquels il est interdit de consulter et de répondre aux emails (heures de repas, week-end, après 22h00)
  • Laisser en entreprises les moyens de connexion
  • Couper les serveurs à partir de 22 h
  • Insérer une signature électronique dans les messages indiquant par exemple que ce message n’exige pas de réponse immédiate
  • Journée mail-off : verrouillage des échanges, fermeture des serveurs soirs et WE (ces mesures sont cependant difficilement applicables au sein d’entreprises internationales)

Enfin voici quelques exemples de mesures d’accords existants :

Accord Syntec
Obligation de déconnexion dont l’employeur doit assurer le suivi pendant les durées minimales de repos du salarié.

Accord Volkswagen
Serveurs coupés entre 18h15 et 7 h00 le lendemain matin.

Accord Michelin
Contrôle des connexions à distance pour ses cadres autonomes itinérants entre 21h00 et 7h00 du matin et du vendredi 21h00 au lundi 7h00.

Emission d’une alerte au-delà de 5 connexions à distance.

Accord Orange
Préconise à ses salariés de prévoir des temps de non-utilisation de la messagerie électronique, notamment lors des réunions pour faciliter la concentration.

Tout salarié peut demander un bilan de son utilisation des outils numériques, tout manager pourra en demander un collectif pour son équipe.

Karine Gillard, chargée de mission au SNFOCOS

Voir également le compte-rendu mis en ligne par Miroir Social