Le 20 avril dernier s’est tenue à l’UCANSS une INC (Instance nationale de concertation) de la Branche AT-MP consacrée pour l’essentiel à l’organisation des investigations AT-MP en CPAM et au rôle des Agents enquêteurs assermentés.

La délégation SNFOCOS constituée pour l’occasion était composée de : Sabine VAVASSEUR, Pierre CHRETIEN, Chafik EL AOUDRI et de Frédéric LORANGE.

Lors de l’INC du 18 novembre 2016, La directrice des Risques professionnels, Marine JEANTET, avait expliqué que « la formation des enquêteurs n’était pas nécessairement optimale » et que « certaines dérives ont pu être constatées ». C’est ainsi qu’une nouvelle Lettre réseau LR-DRP-8/2017 a été publiée le 16 mars 2017 pour « définir l’organisation et le déroulement de la phase d’investigation du processus de reconnaissance des ATMP ».

Pour mémoire et jusqu’à présent, ce sont une circulaire du 4 juillet 2000 et une Lettre réseau LR-DRP-25/2012 qui s’appliquaient. Cette Lettre réseau devait permettre d’harmoniser les pratiques du réseau et de faciliter tant le travail des enquêteurs que celui des gestionnaires. Déjà à l’époque, un défaut majeur avait été soulevé par la communauté des enquêteurs : l’absence de formation continue.

En effet, bien que le métier d’enquêteur AT-MP ne soit pas né avec cette Lettre réseau de 2012, celle-ci devait pourtant s’imposer à des agents déjà en poste, sans même leur apporter la moindre formation ou encore le moindre accompagnement. En 2017, le même schéma se reproduit avec cette nouvelle Lettre réseau qui s’imposera à compter de septembre 2017 aux 296 agents agréés assermentés dédiés aux risques professionnels, auxquels s’ajoutera une vingtaine de nouveaux agents qui vont suivre la nouvelle formation dispensée à partir de ce mois de mai 2017.

Les échanges avec des agents enquêteurs en poste répartis sur l’ensemble du territoire national conduisent à plusieurs interrogations et remarques au sujet de ces nouvelles dispositions :

  • Quid de la formation continue des 296 agents agréés assermentés ? Certains agents sont en poste depuis 2005 et aujourd’hui exposés aux risques psychosociaux (RPS), sans formation ni accompagnement, et à l’apparition de supports et de procès-verbaux à compléter sans aucune explication ;
  • Quid de la situation des assurés, témoins et autres premières personnes avisées à convoquer en CPAM : sur quel fondement juridique ? Dans quels locaux ? Et, pour citer un agent enquêteur affecté dans le département 95 qui est confronté à une population précaire et non francophone dépourvue de moyens de se rendre à une convocation : « Quels moyens de transport ? Qui pour traduire lorsqu’ils ne parlent pas français ? » Ou encore cet autre agent enquêteur de l’Est de la France qui demande «Est-il digne d’un organisme de service public de faire déplacer des personnes « malades » dans des locaux administratifs, afin de déterminer si leur maladie est imputable à leur travail ? ». Pour mémoire et jusqu’à présent, la mission des agents enquêteurs « s’inscrit dans une démarche d’investigation ou de constat privilégiant l’enquête de terrain » ;
  • Quid des moyens des organismes : locaux à prévoir pour les RDV ? Bruit ambiant pour les « auditions téléphoniques » lorsque plusieurs agents partagent un même bureau ? ;
  • Quid de la recevabilité des « enquêtes téléphoniques » ? En 2013-2014, la question avait été posée durant la formation et il nous avait été indiqué qu’une enquête par téléphone n’est pas une enquête ! Plus récemment puisque c’est à l’occasion d’une formation « Investigateurs administratifs – Risque maladie» que la question a été de nouveau posée, les formateurs ont répondu que « une audition par téléphone est un procédé déloyal et irrecevable au niveau contentieux », aussi, comment le procédé peut être admis pour les AT-MP et refusé pour les fraudes ? ;
  • Quid des marges de manœuvres des enquêteurs ? S’ils ne doivent désormais plus que répondre aux seules questions posées par les gestionnaires, que faire si l’enquêteur se rend compte en cours d’enquête que la procédure a mal été orientée ? 
  • Quid des RPS ? Lors de l’INC du 18 novembre 2016, Marine JEANTET avait indiqué que « les enquêtes RPS peuvent être compliquées à mener ». La réponse apportée par la Lettre réseau consiste à dire qu’il faut éviter tout débordement et recadrer la discussion en cas de dérive, faire les entretiens par téléphone ou par convocation à la caisse. Comment faire en présence d’un assuré en arrêt depuis plusieurs mois et sous médication de sorte qu’il n’est pas en mesure d’avoir un discours cohérent ? Et comment le faire venir en CPAM, alors que son état ne lui permet pas de prendre le volant et que les transports en communs sont peu ou pas existants ? Enfin, si les entretiens sont compliqués à mener, c’est aussi parce qu’ils impactent les agents enquêteurs et malgré tout cela, la prévention des RPS n’occupent que 3 heures de formation !

Par ailleurs, le SNFOCOS s’interroge sur le contexte et les conditions dans lesquelles tant la Lettre réseau que le nouveau dispositif de formation ont été construits.

En effet, il avait été indiqué que la Direction des Risques professionnels solliciterait l’envoi de rapports d’enquêtes afin de vérifier les pratiques locales et le respect des consignes de la Lettre réseau de 2012 qui posaient déjà des bases.

Avant de tout changer, pourquoi n’a-t-on pas cherché à réellement harmoniser les pratiques ? Pourquoi a-t-on toléré que des agents enquêteurs soient gestionnaires à temps partiel, ou CIS ou correspondant employeur ? Pourquoi a-t-on toléré que certaines CPAM ne laissent pas les agents enquêteurs aller sur le terrain ? Pourquoi avoir mis en place une Commission d’agrément dans le nouveau cursus de formation ? En quoi va consister la soutenance de rapport devant ladite commission ?

Autant de questions posées qui n’ont pas toutes trouvé une réponse à l’occasion de cette INC de la Branche AT-MP.

Le SNFOCOS rappelle que l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) a édité un guide pour évaluer les facteurs de risques psychosociaux (Réf. ED6140). L’application de la grille d’évaluation aux agents enquêteurs agréés et assermentés, montre qu’ils sont exposés à plusieurs facteurs de risque et leur exposition est accrue avec cette nouvelle Lettre réseau.

Pour n’en citer que quelques-uns :

  • Facteur « Intensité et complexité du travail »: on peut se demander si les objectifs sont clairement définis, on peut douter de la compatibilité des objectifs fixés avec les moyens et responsabilités alloués aux agents pour les atteindre, on peut dire qu’ils reçoivent des instructions contradictoires ;
  • Facteur « Exigence émotionnelle »: les agents sont confrontés à des situations de tension avec les usagers et les employeurs, ils sont amenés à traiter la situation de personnes en souffrance physique, psychologique et/ou sociale sans accompagnement ni formation et ils doivent faire « bonne figure » en toutes circonstances ;
  • Facteur « Autonomie au travail »: les marges de manœuvre disparaissent en privilégiant la forme au fond (je cite : « NON à l’abattage, et aux économies de gestion ! OUI à un travail de qualité sur le terrain,  aux investigations  concrètes et conformes à la réalité du terrain » ;
  • Facteur « Rapport sociaux »: l’organisation de valorise pas les compétences des agents (je cite une collègue de l’est : « bon courage à nous pour nous épanouir encore dans ce métier », « Sans vouloir faire de l’alarmisme, je pense qu’à terme, c’est quand même la destruction de notre emploi qui est dans le viseur » « là où il restait un poste avec intérêt, ils arrivent à nous le saborder! à quand les cases à cocher?! » ;
  • Facteur « Conflits de valeurs »: les agents ne considèrent plus pouvoir faire un travail de qualité je cite : « enquêteurs frustrés et déprimés », « Cette LR m’a mis, comme vous pourrez le comprendre, hors de moi ! J’ai déjà dit que je ne ferai pas d’abattage. J’ai la notion du service public chevillée au corps et je ne saboterais pas ma mission pour des sombres impératifs comptables. Le fait que des collègues échanges la dessus me met malgré tout du baume au cœur ».

La prochaine INC de la Branche AT-MP est programmée pour le 7 juillet prochain. La délégation SNFOCOS entend suivre de très près la mise en œuvre de cette nouvelle Lettre réseau et s’attachera à obtenir les réponses à ses questions et demandera un bilan de la première session de formation des nouveaux agents enquêteurs qui se sera déroulée en Mai 2017.

Chafik EL AOUDRI, Enquêteur AT-MP

Membre de la CPP Risques professionnels du SNFOCOS