Depuis quelques mois, les cadres des organismes du régime général et leurs représentants font remonter une tendance forte : les directions locales sollicitent (avec insistance dans certains cas) la négociation d’accords locaux visant à la mise en place de conventions de forfait-jours. Cette tendance n’est pas surprenante : elle fait suite à la multiplication, ces dernières années, des actions contentieuses visant à faire condamner les caisses locales, coutumières de l’écrêtage et condamnées régulièrement. C’est donc un intérêt économique qui sous-tend ce mouvement de fond.

En 2011, la Cour de cassation avait validé, sous conditions, le dispositif du forfait jour en se basant sur :

  • la directive temps de travail n° 2003/88/CE qui fixe concrètement les limites à observer (durée moyenne hebdomadaire de travail de 48 heures, repos quotidien minimal de 11 heures auquel s’ajoute le repos hebdomadaire de 24 heures)
  • l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE qui consacre le droit fondamental de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire.

Pour rappel, le forfait-jours est basé sur un décompte journalier, exclusif d’un décompte horaire du temps de travail.

Or, en se fondant sur les dispositions précitées, une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 14 mai dernier (affaire C-55/18) pourrait signifier la fin prochaine de ce dispositif. En effet, il ressort de cette décision (visant la législation espagnole) que les directives européennes prises en matière de temps de travail et d’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs s’opposent à une législation nationale qui n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque salarié.

Plus qu’un débat théorique, c’est une question de fond qui se pose : les garanties imposées par la loi française (l’obligation pour l’employeur de s’assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail)et les déclinaisons qui doivent figurer dans les accords locaux permettent-elles de vérifier que la durée maximale hebdomadaire de travail ainsi que les périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire ont été effectivement respectées ?

Plus avant, la lecture de la décision de la CJUE ajoute un argument qui pourrait peser : l’instauration d’un système objectif, viable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque salarié relève de l’obligation générale, pour les États membres et les employeurs, de mettre en place une organisation et les moyens nécessaires pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs, conformément à la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 relative à « la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs ».

Il faudra donc surveiller les évolutions jurisprudentielles nationales d’une part, et législatives d’autre part…à moins que le COMEX ne prenne de lui-même la mesure du problème en faisant évoluer sa doctrine.


Chafik EL AOUGRI, Secrétaire national en charge de l’assistance juridique et la représentativité