Le basculement des cotisations salariés maladie et chômage sur la CSG constitue une mesure phare de la réforme fiscale portée par le gouvernement.

Si ce n’est pas un phénomène nouveau, il n’en constitue pas moins un danger pour notre modèle social !

En effet, le premier ministre a annoncé que « la suppression des cotisations salariales sur l’assurance maladie et l’assurance chômage, financée par un transfert sur la CSG, sera effective dès le 1er janvier 2018 ».

La protection sociale mobilise environ 700-750 milliards d’euros de ressources, c’est-à-dire le tiers du PIB.

Ces ressources, ce sont :

  • d’abord des cotisations sociales pour 61,7%, dont 42,5 points de cotisations patronales, le reste étant versé par les salariés et les indépendants,
  • ensuite pour 35,1% des impôts directement affectés ou reversés par l’État. Cette part est en nette augmentation depuis le début des années 1990 (les impôts et taxes affectés représentaient 1,7% des recettes en 1980, 3,2% en 1990 et la CSG a été créée en 1991)
  • enfin 3,2% de ressources diverses.

Les chiffres le confirment : la Sécurité Sociale appartient aux salariés et aux employeurs ! C’est bien nous qui la finançons encore majoritairement et qui, via le paritarisme la gérons.

Toutefois, la réforme portée par le gouvernement vient perturber cet équilibre en s’attaquant au financement.

Il s’agit d’abord de la CSG, pour 98,9 milliards en 2017, dont 70% va sur la branche maladie, le reste étant ventilé sur la branche famille, le fond de solidarité vieillesse, et la caisse d’amortissement de la dette sociale (la CADES, illustration de la fiscalisation de la « dette sociale »).

Il s’agit ensuite de la taxe sur les salaires pour 13,9 milliards, répartis sur les branches vieillesse, maladie et famille ; des droits d’accise sur le tabac, pour 11,8 milliards ; d’une portion de la TVA, pour 11,4 milliards qui sont affectés à la maladie.

Les données issues des différents rapports (dont celui du Haut Conseil du financement de la protection sociale) font ressortir deux tendances :

  • Le financement par l’impôt s’accroit depuis près de 30 ans. Cette fiscalisation s’expliquait à cause du manque de vigueur de l’économie française et du besoin de financement croissant qui en découlait sur le système français de protection social. Le contexte macroéconomique a une influence déterminante sur les équilibres financiers des régimes de protection sociale. En effet, les recettes sont principalement assises sur la masse salariale du secteur privé, secteur privé qui a souffert de la crise depuis 2007. Ce sont aussi les dépenses des régimes de protection sociale qui sont impactées : une faible inflation se traduit par une moindre revalorisation annuelle des prestations qui sont réglementairement indexées sur cette grandeur (pensions de retraite et d’invalidité́, prestations familiales, notamment), et un contexte économique défavorable se traduit par une hausse des besoins d’aides et de revenus issus des régimes de protection sociale (CMU et PUMA désormais, chômage…). Et il ne faut pas oublier le vieillissement de la population et la dégradation de l’état de santé des actifs. Sur ce dernier point, il suffit d’écouter le discours de nombreux directeurs de CPAM pour qui l’invalidité est l’avenir de la branche maladie.
  • C’est là où les prestations relèvent le plus de la solidarité nationale que le financement par l’impôt est le plus important. Schématiquement, c’est le cas du fond de solidarité vieillesse (le minimum vieillesse) qui bénéficie le plus de ce financement, contrairement à la branche accident du travail (financée par les taux de cotisations sur les employeurs).

A travers son mode de financement, le système français reste donc attaché à sa logique assurantielle contributive. Jean-Claude MAILLY le rappelle régulièrement, la Sécurité sociale ne peut exister que si une solidarité obligatoire est maintenue et ce via un financement basé sur les cotisations sociales. C’est tout un symbole que de constater que c’est à l’heure où la Sécurité Sociale fête ses 70 ans qu’un gouvernement, élu avec un taux de représentativité historiquement bas, lui porte l’attaque la plus sérieuse !

Là où la réforme interroge nos perspectives, c’est en ce qu’elle propose d’étendre le financement par l’impôt au chômage. Or, ce faisant, on dépasse la simple réforme du financement. On s’attaque au principe assurantiel de l’assurance chômage.

Une façon d’amorcer sans doute une reprise en main plus drastique du système, passant par la remise en cause de la gestion paritaire, et ouvrant la possibilité de déconnecter l’indemnisation du revenu.

Plus avant, Pascal PAVAGEAU nous l’a rappelé encore récemment, l’Etat souhaite supprimer 120000 postes. Il paraît difficile, pour ne pas dire impossible, de faire de la (dé)coupe dans la fonction publique qui a déjà payé lourdement. On peut ainsi craindre que ce ne soit les salariés de la Sécu, assurance chômage comprise, qui soient les prochaines cibles. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer les discours de certains candidats aux dernières élections présidentielles et les intérêts  du secteur marchand pour nos activités.

A terme, on pourrait ainsi voir émerger un modèle à deux vitesses :

  • Une protection sociale assurantielle marchande confiée à des opérateurs privés (les grands groupes d’assurances par exemple) pour les travailleurs (salariés, indépendants, retraités et les ayants droits)
  • Une protection sociale non marchande gérée par l’Etat (ou les régions) et financée par la solidarité nationale via un impôt affecté (la CSG ?) au bénéfice des démunis (inactifs sans droits, handicapés, réfugiés…).

Chafik El Aougri, Membre de la CPPE du SNFOCOS