21 Avril 2016
La loi du 17 août 2015 (loi Rebsamen) prévoit une négociation annuelle obligatoire sur la qualité de vie au travail (QVT). Cette disposition qui a pris effet au 1er janvier 2016 vient couronner vingt années de diverses mesures législatives ou contractuelles destinées à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des salariés au travail.
Cette période débute en fait en 1989 avec les premières directives européennes sur le sujet, directives qui seront transposées en France par la loi du 31 décembre 1991. C’est en 1998 que sont publiés simultanément deux livres remarquables : «Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien » (Marie-France Hirigoyen) et « Souffrances en France, la banalisation de l’injustice sociale » (Christophe Dejours). Cette période fort intense va être marquée par différents évènements que sont le décret rendant obligatoire le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DU), la loi sur le harcèlement moral (2002) ou la loi sur le harcèlement sexuel (2012). Il faut aussi mentionner les accords-cadres européens sur le stress au travail ou sur le harcèlement et la violence au travail, sujets qui ont été traités en France par des accords nationaux interprofessionnels (ANI).
Malheureusement, c’est aussi cette période qui connait l’apparition des premiers suicides avec recherche d’imputation professionnelle. On n’aura garde d’oublier les crises suicidaires au Technocentre Renault ou chez Orange France Télécom.
Le Code du travail impose une obligation générale de santé et de sécurité aux employeurs ; la responsabilité civile et pénale du responsable d’entreprise ou des cadres dirigeants peut être mise en cause sans parler de la dégradation de l’image de l’entreprise incriminée.
Vingt ans, c’est l’opportunité de faire un bilan ; c’est l’exercice auquel se livre Jean-Claude Delgenes dans un article diffusé par Miroir Social(*). Pour ce spécialiste incontesté, le bilan est particulièrement accablant comme le montre l’intitulé quelque peu paradoxal qu’il a choisi : « Négocier la QVT : passons aux travaux pratiques ! » Le problème que cerne Jean-Claude Delgenes est bien celui-là ; la France, nettement en retard sur les pays comparables a connu au cours de ces vingt années d’intenses débats sur la prévention de ces risques sans que les analyses théoriques, les innovations législatives et réglementaires, ne transforment réellement les conditions de travail dans les entreprises, chose que chacun d’entre nous peut constater au quotidien.
On l’a vu, en cas d’accident, l’employeur doit prouver qu’il a satisfait à ses obligations concernant la santé et la sécurité au travail, ce qui signifie, comme le souligne Jean-Claude Delgenes, que ce risque juridique incite l’employeur à agir au plus vite pour se couvrir juridiquement au lieu de tenter d’améliorer réellement les conditions de travail. Les cabinets privés répondent à cette demande en offrant des formations comme les formations managériales de « gestion du stress » ou d’accompagnement au changement.
Ces démarches qui cherchent surtout à guérir au lieu de prévenir, ne sont d’ailleurs pas jugées recevables par la justice. Elles dispensent de remettre en cause l’organisation du travail et les méthodes de management ce qui est le but d’une prévention dite primaire.
Les organismes de sécurité sociale comme les institutions de prévoyance ne sont pas à l’abri d’accidents de ce type. Si nous avons échappé jusqu’à présent à des crises suicidaires, certains actes désespérés, pour l’instant isolés, sont restés dans nos mémoires. Les concentrations et restructurations que vivent les agents des organismes de sécurité sociale, sont potentiellement génératrices de risques psychosociaux (RPS). Il en est de même pour les ARS où les cas de souffrance au travail sont malheureusement récurrents. Dans certains organismes ou même certaines branches le seuil critique est en passe d’être atteint. Les élus SNFOCOS connaissent bien ces situations. Il n’y a pas de réelles réponses en matière de prévention primaire.
Lorsqu’un accident se produit, il est courant pour certains responsables de nier la réalité voire de faire preuve de cynisme. On cherche avant tout à déporter la cause sur la vie personnelle de l’intéressé ; les exemples existent. Or, il est notoirement admis que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle joue un rôle crucial et que les problèmes personnels et familiaux sont des facteurs de risque aggravants. Un exemple parmi d’autres, il est admis que 25% de la population active est dorénavant confrontée à une problématique d’aidant vu l’augmentation de la perte d’autonomie. Ces situations personnelles supposent un aménagement du temps de travail et une prise en compte des contraintes.
Il est aussi démontré que la première cause de RPS réside dans les relations avec un supérieur hiérarchique direct (manager). Là aussi, il faut vaincre l’inertie en vigueur et remettre en cause les mentalités pour traiter ces cas potentiellement dangereux. Certains responsables pensent ou feignent de penser que lorsqu’ils sont directement confrontés à un cas de RPS, il s’agit d’un problème de personne par nature irrationnel. Or, les outils de mesure existent ainsi que des méthodologies éprouvées.
Une réelle négociation sur la QVT doit s’appuyer sur des indicateurs collectifs comme ceux préconisés par l’INRS. Ces indicateurs permettent l’identification des éventuels signes de RPS au sein de l’organisme et de ses différentes composantes. L’objectif est de transformer les relations de travail et non de les édulcorer. A cet effet, Jean-Claude Delgenes nous rappelle que Technologia, dans le cadre de ses missions d’expertise et d’accompagnement, a développé une méthodologie destinée à ces diagnostics, méthodologie qui s’appuie sur un outil informatique particulièrement élaboré (ISIS). Il devient alors possible de faire une analyse précise de la situation, de révéler les potentialités de RPS, de suivre les indicateurs dans le temps afin de procéder à de réelles améliorations des conditions de travail.
La QVT répond à des critères objectifs, les outils existent, il n’y a pas de place pour l’amateurisme ; l’enjeu est trop important. La négociation obligatoire doit être l’opportunité d’une véritable amélioration des conditions et de qualité de vie au travail.
Gino Sandri
Trésorier général