La résilience d’une économie française sous-estimée
L’analyse présentée par Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, offre un contrepoint salutaire aux discours catastrophistes qui dominent actuellement le débat économique français. Contrairement aux prédictions alarmistes qui appellent à des mesures d’austérité drastiques, la situation économique française, bien que préoccupante, demeure gérable et ne justifie pas les « coups de rabot » aveugles sur les dépenses publiques.
Un endettement dans la moyenne européenne
Avec une dette publique de 113% du PIB en 2024, la France se situe certes au-dessus de la moyenne de la zone euro (88,7%), mais sa position relative reste comparable à celle d’autres grandes économies européennes. L’Italie affiche 137,3% du PIB, l’Espagne 108,9%, démontrant que l’endettement français n’est ni exceptionnel ni insurmontable dans le contexte européen actuel.
Plus révélateur encore, l’écart de déficit entre la France et la zone euro s’est principalement creusé entre 2000 et 2007, puis après 2019, soulignant que la dégradation actuelle résulte largement de chocs externes (crises sanitaire et énergétique) plutôt que d’une dérive structurelle.
Les limites de l’approche austéritaire
L’expérience récente démontre les effets contre-productifs des politiques restrictives appliquées de manière brutale. La consolidation budgétaire pèse sur l’activité, comme l’observe l’Insee, particulièrement dans un contexte où l’économie française ne croît que de 0,6% en 2025. Cette situation illustre parfaitement ce que les économistes keynésiens dénoncent : les multiplicateurs budgétaires sont élevés en période de faible croissance, rendant l’austérité particulièrement nocive.
Les travaux de l’OFCE montrent que dans le contexte actuel d’insuffisance de la demande, les effets récessifs des politiques budgétaires restrictives sont d’autant plus forts. Cette analyse rejoint les conclusions de Paul Krugman, qui souligne que l’État doit « gagner moins et dépenser plus » pour sortir d’une crise économique.
L’efficacité de la relance par la demande
Le plan France Relance, doté de 100 milliards d’euros entre 2020 et 2022, a démontré l’efficacité des politiques contra-cycliques. Selon les analyses d’Euler Hermes, ce plan a stimulé la croissance de 2,4% sur la période 2021-2022, soit davantage que les plans allemand (2%) ou italien (0,7%), grâce notamment à un multiplicateur keynésien plus élevé en France (0,55 contre 0,50 pour l’Allemagne).
Cette performance contredit frontalement les théories de l’austérité expansionniste qui prétendent que la réduction des dépenses publiques stimulerait automatiquement la croissance privée. Au contraire, l’investissement public a augmenté de 0,5 point de PIB durant cette période, contribuant positivement à la dynamique économique.
La nécessité d’une approche progressive et intelligente
Plutôt que de procéder à des coupes budgétaires aveugles, une politique économique responsable doit privilégier un ajustement progressif qui limite les impacts négatifs sur l’économie. L’OFCE estime qu’un ajustement de 2,8% du PIB à l’horizon 2029 serait préférable aux 110 milliards d’euros d’efforts brutaux actuellement envisagés.
Cette approche s’inspire directement des enseignements de Joseph Stiglitz, qui met en garde contre l’hystérie autour de la dette publique utilisée pour justifier la destruction de l’État-providence. L’économiste prix Nobel souligne que l’endettement public peut « contribuer à construire la croissance future » lorsqu’il finance des investissements productifs.
Les vrais enjeux de la dette française
L’analyse historique de Thomas Piketty révèle que la France a géré des niveaux d’endettement bien plus élevés par le passé. La dette publique française atteignait 306% du PIB en 1919, et des mécanismes comme l’inflation modérée ont historiquement permis de réduire significativement le poids de l’endettement sans recourir à l’austérité.
Cette perspective historique démontre que la rente sur l’État profite avant tout aux détenteurs de capitaux privés. Piketty observe qu’une « grande partie de la dette publique est détenue en pratique par une minorité de la population, si bien que la dette entraîne bel et bien des redistributions importantes » en faveur des plus riches.
Une politique économique équilibrée pour l’avenir
La France dispose d’atouts considérables qui relativisent les inquiétudes sur sa solvabilité. Le pays conserve la confiance des marchés financiers pour ses emprunts à long terme, et sa dynamique de transition vers les services s’accompagne de fortes créations d’entreprises, préservant les fondamentaux de la croissance.
Une politique économique moderne doit concilier la nécessité d’un retour graduel à l’équilibre budgétaire avec le maintien des investissements publics essentiels.
Cela implique de privilégier une augmentation progressive des recettes, notamment par une fiscalité plus équitable sur les hauts patrimoines, plutôt que des réductions brutales de dépenses qui fragiliseraient la cohésion sociale et la capacité de l’État à répondre aux défis futurs.
La voie médiane défendue par Éric Heyer et l’OFCE offre ainsi une alternative crédible aux sirènes de l’austérité : reconnaître les défis budgétaires sans céder à la panique, investir dans l’avenir sans ignorer les contraintes financières, et construire une politique économique au service de tous les Français plutôt qu’au seul bénéfice des détenteurs de capitaux.
Sources :
Éric Heyer – Conférence, événement et webinar – Orators https://orators.fr/les-intervenants/eric-heyer/
Sortir d’une crise économique Le mode d’emploi de Paul Krugman https://laviedesidees.fr/Sortir-d-une-crise-economique
Stiglitz et Varoufakis sur la dette publique – Le MÉDAC https://medac.qc.ca/salle-de-presse/articles/906-stiglitz-et-varoufakis/
Thomas Piketty, le CADTM et la dette publique https://www.cadtm.org/Thomas-Piketty-le-CADTM-et-la-dette-publique