À l’occasion du 80ème anniversaire de la Sécurité sociale, une série de reportages inédits d’AEF info lève le voile sur le quotidien méconnu des agents qui incarnent, au jour le jour, cette institution fondatrice de la République sociale française. De Perpignan à Nantes, de Saint-Denis aux Vosges, ces femmes et ces hommes révèlent la réalité humaine d’un service public en perpétuelle mutation.
Huit décennies après sa création, la Sécurité sociale demeure l’une des conquêtes sociales les plus emblématiques de la France moderne. Pourtant, derrière les chiffres du déficit et les débats sur les réformes, une réalité échappe souvent au regard : celle des 180 000 agents qui font vivre cette machine complexe au service de 67 millions d’assurés. À travers leurs témoignages, se dessine une autre vision de la « Sécu », moins comptable, plus humaine.
L’argent public au service du sens
« On doit utiliser l’argent public au mieux », résume d’emblée Valérie Arnaud, médecin-conseil à Perpignan. Cette ancienne psychiatre libérale, reconvertie depuis trois ans dans les services de l’Assurance maladie, incarne cette conscience aiguë de la responsabilité publique qui anime les agents. Dans son bureau qui « ressemble en revanche bien à un bureau de médecin, avec une table d’examen », elle reçoit les assurés – « qu’on prend soin d’appeler ‘les assurés’ et pas des ‘patients’ » – pour évaluer leurs arrêts de travail ou leurs demandes d’invalidité.
Cette recherche du juste équilibre entre maîtrise des dépenses et qualité du service traverse tous les métiers. « Je dois avoir un raisonnement plus global, plus sociétal », explique la praticienne, qui apprécie désormais de travailler « davantage en équipe ». Une évolution qui reflète la transformation profonde d’une institution longtemps perçue comme administrative, vers une approche plus collaborative et transversale.
La révolution numérique au chevet des professionnels
Dans les rues de Seine-Saint-Denis, Ahmed Kadi, délégué numérique en santé, sillonne les cabinets médicaux au volant de sa Smart. Ce quadragénaire, fort de plus de vingt ans d’expérience à l’Assurance maladie, accompagne les professionnels de santé dans l’appropriation des nouveaux outils : application Carte Vitale, ordonnance numérique, télédéclaration des arrêts de travail.
« Les professionnels de santé ont besoin de soutien », constate-t-il, observant les médecins jongler avec leur pratique clinique et les évolutions technologiques, « tout en suivant parfois jusqu’à 2 000 patients ». Son rôle dépasse la simple assistance technique : il devient un médiateur entre l’innovation et la réalité du terrain médical, incarnant cette capacité d’adaptation qui caractérise la modernisation de la Sécurité sociale.
Convaincre sans contraindre : la prévention à l’épreuve du terrain
À Périgueux, dans les locaux de la CPAM, Sandrine et Laëtitia exercent un métier né l’année dernière : conseillères « Aller vers prévention ». « Casque téléphonique sur la tête, yeux fixés sur le script d’entretien affiché sur leur écran », elles appellent les assurés les plus éloignés du système de soins pour les motiver à effectuer leurs dépistages.
« On doit convaincre sans contraindre », expliquent ces téléconseilleuses qui « doivent être à l’écoute, s’adapter, encaisser humeurs et états d’âme tout en visant le maximum d’appels conclusifs ». Leur mission illustre l’évolution de la Sécurité sociale vers une approche proactive, qui ne se contente plus d’attendre les demandes mais va au-devant des besoins de santé publique.
Le poids des émotions dans la relation de service
« Les assurés s’assoient, ils déversent leurs émotions », confie Thomas Lucas, conseiller retraite à la Carsat Rhône-Alpes. Ce trentenaire, qui exerce depuis près de dix ans, reçoit dans l’agence de Lyon Vaise « un chauffeur routier avec une carrière linéaire, une ancienne intermittente du spectacle qui a eu de nombreux employeurs, une demande de pension de réversion ».
Son quotidien révèle la dimension profondément humaine de ces métiers techniques. « Il s’attache à conseiller au mieux les assurés en fonction de leur profil et des informations à disposition », mais doit aussi gérer cette charge émotionnelle que représente l’accompagnement des personnes à un moment charnière de leur existence.
L’accompagnement des plus fragiles : une mission de service public
Virginie Laurent incarne peut-être le mieux cette évolution vers un service public de proximité. Conseillère au service Prado (Programme d’accompagnement au retour à domicile) à la CPAM de Loire-Atlantique, elle accompagne depuis douze ans le retour des patients hospitalisés. « On est autonome, et c’est un métier très tourné vers l’extérieur. Et puis on propose un service, un accompagnement ; c’est bien perçu et les retours sont souvent positifs », témoigne-t-elle.
Son énergie – « elle délaisse l’ascenseur pour les escaliers, et gravit les étages, avec le même dynamisme qu’elle met à trouver des solutions » – symbolise cette capacité d’innovation et d’adaptation qui traverse l’institution[5]. « C’est une administration qui a des valeurs », résume-t-elle, exprimant cette fierté du service public qui anime encore les agents malgré les critiques et les difficultés.
Face au renoncement aux soins : une réponse solidaire
L’exemple de la CPAM de l’Aisne illustre cette capacité de réaction face aux défis sociaux contemporains. Dans ce département « marqué par une forte précarité sociale et par la désertification médicale », près de 6 500 personnes ont bénéficié depuis 2017 d’un accompagnement spécialisé pour lutter contre le renoncement aux soins.
« On apporte des solutions et un peu d’espoir, et on réussit souvent », résume Anne Guibier, accompagnante santé à Laon. Cette prise en charge personnalisée, qui a concerné plus de 230 000 assurés l’an dernier au niveau national, permet non seulement de rétablir les personnes dans leurs droits mais aussi de leur prendre rendez-vous avec des professionnels de santé.
Une institution en mutation permanente
Ces témoignages révèlent une Sécurité sociale loin de l’image d’Épinal d’une administration figée. L’institution se réinvente constamment, créant de nouveaux métiers comme celui de conseiller prévention, développant de nouveaux services comme l’accompagnement au retour à domicile, ou modernisant ses outils avec la dématérialisation.
« La Sécu rassemble plus de 500 métiers différents », rappelle la campagne de recrutement 2025. Cette diversité reflète la complexité d’une mission qui va bien au-delà du simple remboursement des soins : accompagnement social, prévention, aide au retour à l’emploi, soutien aux familles, préparation de la retraite.
Les agents interrogés partagent tous cette conscience d’appartenir à une institution « utile », qui « a du sens », pour reprendre les expressions revenues dans chaque témoignage. Malgré les contraintes budgétaires, les critiques et les réformes successives, ils continuent à trouver dans leur mission quotidienne les ressorts d’un engagement qui dépasse le simple cadre professionnel.
À 80 ans, la Sécurité sociale révèle à travers ses agents une capacité d’adaptation et une humanité qui expliquent sans doute sa résilience. Dans un contexte où l’avenir du modèle social français fait débat, ces femmes et ces hommes rappellent qu’au-delà des enjeux financiers, c’est bien la question du vivre-ensemble et de la solidarité qui reste au cœur de cette institution fondatrice de la République sociale.
Sources : AEF info