Vers un « paritarisme » à deux vitesses ?

Alors que l’exécutif propose de confier aux partenaires sociaux la gestion du régime général des retraites du privé, un débat s’engage sur le risque d’étatisation déguisée et sur les conditions indispensables pour garantir une gouvernance véritablement paritaire.

La fable renversée du corbeau et du renard

Dans une tribune récente, Michel Monier souligne l’irruption étonnante de l’invitation gouvernementale à confier aux partenaires sociaux la gestion du régime général des retraites du privé. Après un lent « détricotage-étatisation » de la protection sociale, cette proposition surprend par son ton laudateur envers la supposée excellence gestionnaire des régimes complémentaires.

L’État, devenu renard, flatte les syndicats pour « passer le camembert » du régime général. Mais cette louange cache, selon lui, un risque : l’étatisation par substitution, à l’instar de ce qui s’est produit pour l’assurance chômage, où le financement par la CSG et la gestion par Pôle emploi ont érodé la nature assurantielle du dispositif. ​

Les prérequis d’une gestion pleinement paritaire

Pour que la gestion soit plus qu’un « baiser de la mort », Monier identifie plusieurs conditions indispensables :

  • Une gouvernance paritaire et non tripartite, garantissant l’égalité entre employeurs et salariés.
  • Un pilotage assurantiel inscrit dans la durée, couvrant contributions et prestations.
  • La maîtrise opérationnelle des cotisations et des flux financiers, aujourd’hui sous compétence des URSSAF.
  • La préservation de l’autonomie, qui a fait la qualité de la gestion des régimes complémentaires Agirc-Arrco.

Sans ces garanties, la perspective d’une délégation de gestion deviendrait un leurre, ouvrant la voie à une étatisation progressive des réserves prudentielles et à une intégration contraignante du régime général dans les logiques fiscales.

Le « faux-nez » de la CNAV et le risque de paritarisme de façade

Dans une seconde tribune, Michel Monier pousse l’analyse plus loin en évoquant la CNAV, régie aujourd’hui par une gouvernance étatique et assurantielle distincte des seuls droits contributifs des salariés du privé. Il met en garde contre un « faux-nez » : flattés pour leur gestion des complémentaires, les partenaires sociaux pourraient accepter un pilotage de la CNAV sans disposer du périmètre et des moyens réels de gouvernance.

Deux dangers principaux sont pointés :

  • La confusion entre prestations contributives et prestations de solidarité, pour lesquelles les partenaires sociaux n’ont pas légitimité.
  • Le maintien du recouvrement par l’URSSAF, sans transfert de la maîtrise des flux financiers, condamnant le paritarisme à n’être qu’une façade.​

Entre défi et opportunité

Le transfert de gestion du régime général constitue à la fois un défi de taille et une opportunité inédite pour les partenaires sociaux. Pour transformer cette initiative en succès, il ne suffira pas de saluer la qualité de gestion des régimes complémentaires : il faudra négocier un cadre de pleine responsabilité couvrant la gouvernance, le pilotage économique et opérationnel, et garantir que l’État renonce à toute ingérence budgétaire ou fiscale inappropriée.