Les trois réformes de l’arrêt de travail qui inquiètent la France : les malades et les médecins en première ligne

L’État prépare une restructuration majeure des indemnités journalières et de la gestion des arrêts de travail. Entre réduction des revenus, compression des durées et suppression silencieuse de protections, ces mesures dessinent un tableau peu réjouissant pour les patients, les médecins et les employeurs qui doivent financer la transition.

Une explosion des dépenses : le diagnostic qui justifie tout

Entre 2019 et 2023, les dépenses liées aux arrêts de travail ont augmenté de 6% par an, contre 3% entre 2010 et 2019. Cette accélération de 28% en quatre ans a déclenché l’alarme gouvernementale. Le diagnostic est mi-chiffre, mi-culpabilisation : 60% de cette hausse s’explique par des facteurs économiques et démographiques, mais 40% seraient dus à une « augmentation réelle du nombre et de la durée des arrêts ». C’est sur cette dernière portion que le gouvernement entend appuyer.

En parallèle, la fraude détectée a explosé : de 17 millions d’euros en 2023 à 42 millions en 2024, une multiplication par 2,5 qui a achevé de persuader les décideurs que le système avait besoin d’une cure de choc.

La première réforme : enfoncer le clou dans le portefeuille des malades

Depuis le 1er avril 2025, le plafond de calcul des indemnités journalières (IJSS) a baissé de 1,8 à 1,4 fois le SMIC mensuel. En euros concrets, ce passage de 3 243,24 à 2 522,52 euros bruts mensuels représente une réduction d’environ 20%.

Pour un salarié gagnant 3 000 euros bruts par mois, la différence est brutale : avant la réforme, il recevait 49,31 euros par jour en arrêt ; après, ce montant tombe à 41,47 euros, soit une perte de 7,84 euros quotidiens. À l’échelle d’une maladie de trois semaines, cela représente plus de 200 euros d’économies pour l’Assurance maladie, mais autant de perte pour le malade.

Les bas salaires trinquent d’une manière particulièrement féroce. Un salarié gagnant 2 000 euros bruts perd proportionnellement davantage que celui touchant 5 000 euros. C’est précisément sur ce point que la CFTC dénonce une mesure qui « pénalise les plus vulnérables sur le marché de l’emploi » et risque d’« appauvrissement des personnes malades ».

L’équilibre comptable du gouvernement comporte néanmoins une faille majeure : tandis que l’Assurance maladie économise 600 millions d’euros par an, les employeurs doivent compenser. Les conventions collectives obligent le maintien de 90% du salaire pendant les 30 premiers jours d’arrêt. Avec les IJSS réduites, les entreprises versent des indemnités supplémentaires plus importantes, générant un surcoût de 800 millions d’euros par an.

Bilan : l’État gagne 600 millions, les salariés perdent globalement 200 millions (600 – 800 de surcoûts patronaux qui ne reviennent pas aux salariés). C’est un jeu à somme négative dont personne n’était informé.

La deuxième réforme : valoriser le contrôle médical, imposer le rythme

À partir du 1er septembre 2026, les praticiens ne pourront plus prescrire des arrêts initiaux sans limite. Le système devient une dictature du calendrier médical :

  • 15 jours maximum pour les prescriptions en cabinet de ville
  • 30 jours maximum pour les prescriptions hospitalières
  • Renouvellements limités à 2 mois par période

Certes, une dérogation existe pour les cas « médicalement justifiés », mais elle doit être motivée selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé. C’est dire que le médecin devient responsable de justifier l’unjustifiable administrativement.

Cette réforme repose sur un chiffre qui fascine les décideurs : les arrêts de plus de 6 mois représentent 6% du total des arrêts mais 45% de la dépense. Combattre ces arrêts longs devient donc une priorité de maîtrise budgétaire.

Le gouvernement voit là une meilleure mobilisation médicale et une prévention de la « désinsertion professionnelle ». Les ministères parlent d’« obligation de revoir le médecin régulièrement plutôt que de rester en arrêt passif ». Traduction : plus de visites médicales, plus de justifications, plus d’intrusion administrative dans le cabinet.

Mais le prix est élevé pour les patients : un repos insuffisant peut prolonger la pathologie, la nécessité de consulter plus souvent génère du stress et ralentit la récupération. Pour les médecins, la charge de travail explose (plus de consultations, plus de justifications à rédiger) et la responsabilité juridique en cas de dérogation devient redoutable.

Pour les patients chroniques graves – fibromyalgie, syndromes post-Covid sévères, certaines formes de dépression majeure – cette architecture est pratiquement inexploitable. Limiter à 15-30 jours un arrêt pour une affection durable ne fait que repousser la date du problème.

La troisième réforme : la suppression silencieuse des ALD non-exonérantes

La plus radicale des trois mesures reste la plus discrète. Le gouvernement prépare la suppression des Affections Longue Durée (ALD) non-exonérantes.

Petite clarification pour les non-initiés : il existe deux types d’ALD. Les exonérantes ouvrent droit à 100% de remboursement (diabète, cancer traité, insuffisance cardiaque) et touchent environ 14 millions de patients. Les non-exonérantes ne donnent pas accès à l’exonération du ticket modérateur, mais ouvrent droit à arrêts de travail de plus de 6 mois et à indemnités journalières déplafonnées.

Le problème gouvernemental : ces non-exonérantes sont 3 fois plus nombreuses que les exonérantes et coûtent 3,17 milliards d’euros en 2023, avec une croissance annuelle de 6,4%, contre 0,9% pour les exonérantes.

Si cette suppression advient, les patients actuellement en ALD non-exonérante basculeraient sous le régime commun des arrêts : 15-30 jours maxi, puis renouvellements limités à 2 mois. Pour quelqu’un souffrant d’une affection chronique stabilisée mais invalidante, c’est l’impossibilité légale de rester en arrêt au-delà.

L’impact financier semble rêvé : réductions majeures des dépenses plus 883 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires issus de l’imposition des indemnités journalières. Mais le coût humain est monstrueux : les patients risquent de basculer en invalidité – un système encore plus coûteux – ou de perdre leur emploi.

Lutte contre la fraude : une arme à double tranchant

Le gouvernement ne se contente pas de réduire, il veut aussi tracer. Depuis le 1er juillet 2025, le formulaire Cerfa pour les arrêts de travail est devenu « sécurisé ». Impression spéciale, bandes orange fluo détectables en cas de photocopie, protection contre la falsification par l’IA.

La fraude détectée justifie cette paranoïa, mais elle cache une logique : l’État veut imposer des motifs médicaux obligatoires sur chaque avis d’arrêt, donnant au système la faculté de cibler, de mesurer, de contrôler chaque prescription.

Ce n’est pas illégitime – 42 millions de fraude en 2024, c’est tangible. Mais pour les médecins honnêtes, l’effet psychologique sera celui d’une suspicion systématique, et pour les patients, celui d’une défiance accrue envers leur propre médecin.

Le calendrier qui ébranle le système

 

Mesure Entrée en vigueur
Baisse IJSS (1,8 → 1,4 SMIC) 1er avril 2025
Formulaire Cerfa sécurisé 1er juillet 2025
Limitation durée primo-prescriptions (15/30 j) 1er septembre 2026
Suppression ALD non-exonérantes À définir

 

Qui gagne, qui perd ? L’arithmétique perverse

Pour les salariés malades, c’est un quadruple coup : revenus réduits de 20%, durées limitées, visites médicales obligatoires plus fréquentes, et pour les patients chroniques, suppression de protections existantes.

Pour les médecins généralistes, c’est une augmentation de la charge administrative, une responsabilité juridique accrue, et une pression implicite pour ne pas justifier les dérogations.

Pour les employeurs, le bilan net est paradoxalement négatif : ils économisent certes via les réductions d’IJSS (-600 M€), mais doivent compenser avec des indemnités additionnelles (+800 M€). Résultat : +200 millions d’euros de charge nette.

Pour les finances publiques, c’est un succès apparent : 600 millions d’économies sur les IJSS, plus les gains de lutte contre la fraude, plus l’imposition nouvelle sur les indemnités ALD (883 M€).

Le débat du choix politique

Ces réformes incarnent un choix politique clair : réduire les revenus pendant la maladie plutôt que d’investir dans la prévention ou de cibler uniquement la fraude réelle. C’est une philosophie : si vous êtes malade, vous êtes un coût, donc vous devez souffrir un peu économiquement pour vous rappeler l’importance de ne pas l’être.

Les syndicats (CFTC, CGT, Force Ouvrière) dénoncent cette logique qui « tape sur les malades plutôt que sur les causes » de l’augmentation des dépenses. Les médecins craignent une responsabilité juridique démesurée. Les patients chroniques contemplent l’appauvrissement.

Le gouvernement, lui, voit une efficacité budgétaire et une « responsabilisation » des acteurs du système.

Ce qui manque : une réforme équilibrée

Pour atteindre les objectifs de maîtrise sans sabrer les revenus des malades, il faudrait :

  1. Protéger les bas revenus : maintenir 1,8 SMIC pour les salariés gagnant moins de 1,5 × SMIC
  2. Adapter par pathologie : dérogations automatiques pour les affections graves, sans justification byzantine
  3. Soutenir les médecins : simplifier les justifications plutôt que de les multiplier
  4. Vraie prévention : investir dans l’amélioration des conditions de travail, pas de réduction comptable
  5. Fraude ciblée : oui, mais sur les 42 millions détectés, pas en menaçant le système médical entier

Conclusion : une réforme qui fait économies aux mauvais endroits

Ces trois réformes – baisse des IJSS, limitation des durées, suppression des ALD non-exonérantes – répondent à un vrai problème : l’explosion des dépenses de 6% par an. Elles économisent 600 millions à l’État sur les IJSS, plus les gains de lutte antifraude, plus les nouvelles recettes fiscales.

Mais elles le font en sacrifiant les patients les plus vulnérables, en imposant une charge administrative explosive aux médecins, en coûtant finalement 200 millions nets supplémentaires aux employeurs, et en risquant de créer une génération d’invalides ou de sans-emplois parmi les malades chroniques.

C’est une réforme d’une brutalité comptable rarement vue : elle gagne en euros ce qu’elle perd en humanité. Et elle se déploie dans un silence administratif assourdissant, en attendant que les syndicats et les médecins la mettent en lumière publiquement.