Porté par une ambitieuse politique en faveur de la petite enfance, le réseau des caisses d’allocations familiales (CAF) s’impose plus que jamais comme un acteur économique et social central dans les territoires. À l’heure où les communes deviennent autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, l’interview de Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), éclaire les coulisses d’un service public en recomposition, appuyé sur le professionnalisme de milliers de salariés.
Des milliards d’euros pour éviter la casse des crèches
La revalorisation de 2% de la prestation de service unique (PSU), annoncée par la ministre Stéphanie Rist et rétroactive au 1ᵉʳ janvier, n’est pas un simple ajustement comptable, rappelle Nicolas Grivel. Elle vise à soutenir des crèches et établissements d’accueil du jeune enfant pris en étau entre pénurie de personnel, baisse d’activité et recettes insuffisantes pour couvrir des charges devenues structurelles. Sur trois ans, la PSU aura ainsi progressé de 13%, à laquelle s’ajoute une hausse programmée des bonus territoriaux, renforcés sur plusieurs années pour soutenir les projets dans les communes.
Derrière ces pourcentages se dessine une montée en puissance budgétaire inédite : la convention d’objectifs et de gestion qui lie la Cnaf à l’État ouvre jusqu’à 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an pour la petite enfance, pour un total de 4 à 5 milliards annuels consacrés à ce champ. Ces masses financières, qui irriguent crèches municipales, associatives ou privées, sont mises en musique par les CAF par des équipes anonymes. Aucun affichage pour remettre dans la lumière ces conseillers, cadres ou directeurs qui arbitrent, accompagnent, contrôlent et sécurisent l’usage de ces fonds.
Depuis le 1ᵉʳ janvier, le service public de la petite enfance (SPPE) change d’échelle. Les communes, désormais autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, doivent établir un diagnostic, structurer une offre, et, pour celles de plus de 10 000 habitants, mettre en place un relais petite enfance. Nicolas Grivel insiste sur la continuité autant que sur la rupture : les CAF accompagnaient déjà de longue date les collectivités sur la petite enfance, mais la réforme amplifie ce rôle.
Les CAF sont en posture de “facilitatrices” : ingénierie, appui au diagnostic, soutien au montage de projets, cofinancement des relais petite enfance. Chaque année, 160 millions d’euros y sont consacrés, et seules 60 communes de plus de 10 000 habitants restent encore dépourvues de relais, signe d’une couverture presque intégrale du territoire. Là encore, ce sont les équipes locales des CAF qui traduisent des obligations légales en solutions concrètes, en adaptant les dispositifs nationaux à la géographie sociale des bassins de vie.
La réforme se heurte pourtant à une réalité têtue : les crédits prévus pour créer de nouvelles places ne sont pas entièrement consommés, faute de professionnels pour faire tourner les structures. Nicolas Grivel ne s’y dérobe pas. Moins de créations de places, explique-t‑il, signifie une sous-utilisation des marges de dépenses prévues. D’où l’idée de redéployer ces moyens vers les structures existantes pour consolider leur modèle économique et éviter des fermetures en chaîne.
Ce redéploiement ne se limite pas aux seules crèches. Une partie des marges dégagées alimente aussi les accueils de loisirs et le périscolaire, contribuant à soutenir des services dont les communes sont directement responsables. L’image qu’en donne le directeur général est celle de “vases communicants” au service des territoires : adapter les enveloppes à la réalité du terrain, plutôt que laisser dormir des crédits faute de projets opérationnels. Une gymnastique budgétaire fine, que les services des CAF orchestrent en permanence, pris entre objectifs nationaux, contraintes locales et attentes fortes des élus.
Un dialogue financier sous tension avec l’État
Les associations d’élus, à commencer par l’Association des maires de France, jugent dérisoire la compensation directe versée par l’État au regard des charges nouvelles induites par le SPPE.
En regard, le directeur général remet “à l’échelle” les efforts de la branche Famille : entre 4 et 5 milliards d’euros par an consacrés à la petite enfance, tous financeurs confondus. Cette asymétrie pose, en filigrane, la question du partage des responsabilités entre État, sécurité sociale et communes. Mais elle souligne surtout le rôle de pivot économique joué par la Cnaf dans les politiques familiales locales.
Au fil de l’entretien, Nicolas Grivel assume une double ligne : reconnaître la fragilité du secteur – “pénurie de personnel, difficultés d’activité, difficultés financières pour les familles” – tout en défendant une ambition politique forte pour la petite enfance par la revalorisation de la PSU, hausse des bonus territoriaux, accompagnement des autorités organisatrices, soutien aux relais petite enfance, …
Cette ambition nationale ne peut toutefois se déployer sans l’engagement et le travail des équipes des CAF. Dans les services prestations comme dans les équipes action sociale, les agents jonglent avec des normes en évolution, des systèmes d’information complexes et des partenaires multiples – communes, associations, privés, État déconcentré. La solidité du SPPE dépend en grande partie de cette chaîne humaine invisible, qui transforme les décisions budgétaires en lieux d’accueil, en horaires élargis, en solutions concrètes pour des parents souvent pris en étau entre contraintes professionnelles et manque de places.
Le SNFOCOS tient à mettre en lumière les salariés impliqués des CAF qui n’attendent plus qu’une chose : la reconnaissance salariale de leur contribution aux impacts socioéconomiques de leurs missions.