Le rapport de la Cour des comptes sonne l’alarme. La France n’a plus le luxe de l’inaction.
Publié en décembre 2025, le rapport public thématique de la Cour des comptes intitulé « Démographie et finances publiques » ne livre pas un diagnostic marginal : il trace un portrait de la mutation structurelle du pays et expose les risques d’un décalage croissant entre les recettes publiques en déclin et des dépenses appelées à progresser inexorablement. C’est aussi un appel à la responsabilité collective.
Le constat est impitoyable. Alors que la France comptait 68,6 millions d’habitants fin 2024, deux transformations majeures redessinent le pays. D’abord, une dénatalité qui s’accélère : l’indicateur conjoncturel de fécondité a atteint 1,62 enfant par femme en 2024, plaçant le pays sous le seuil de renouvellement des générations. Pire, le solde naturel — la différence entre naissances et décès — est devenu négatif en mai 2025, deux ans plus tôt que prévu, avec 651 000 décès contre 650 000 naissances. C’est un basculement historique pour la France, jusque-là préservée de cette dynamique.
Deuxièmement, le vieillissement accéléré. La part des personnes de plus de 65 ans a bondi de 16,3% en 2005 à 21,8% en 2024. Les générations nombreuses du baby-boom deviennent des seniors. Le nombre de plus de 75 ans passera de 7,3 millions en 2024 à 11,2 millions en 2070. Le ratio de dépendance démographique — le rapport entre retraités et population active — atteindra 45 à 50% en 2040, contre 37% en 2023. En langage clair : il y aura bientôt une personne âgée pour deux actifs contre huit après guerre.
La population active se réduit
La population en âge de travailler (20-64 ans) diminuera de 38,0 millions en 2024 à 34,6 millions en 2070. La perte correspond à la population active d’une grande région française. Cette réduction est inexorable, même avec une immigration dynamique. Le rapport de la Cour relève que le solde migratoire positif, estimé à 152 000 personnes par an, présente une structure par âge favorable mais des effets limités sur l’intégration économique : l’écart de taux d’emploi entre population immigrée et population autochtone avoisine 18 points de pourcentage.
C’est ici que se situe le problème des finances publiques. Un système de protection sociale construite au XXe siècle repose sur une architecture simple : les actifs financent. Le travail porte l’essentiel des prélèvements obligatoires. Or, si le nombre d’actifs baisse de 10% d’ici 2070 tandis que les dépenses de retraite, de santé et de dépendance progressent, il n’existe que trois équations possibles : augmenter les prélèvements sur le travail, réduire les prestations, ou diversifier les assiettes fiscales. Le rapport de la Cour ne propose pas de solution miracle. Il énonce sobrement ce que tous les économistes savent : les arbitrages à venir seront « particulièrement douloureux ».
Retraites : stabilisé, mais au prix fort
Sur les retraites, le diagnostic du rapport est contrasté. Les réformes successives, notamment celle de 2023 qui a reculé l’âge légal de départ à 64 ans, ont permis une stabilisation relative. Les dépenses devraient se maintenir autour de 14,0 à 14,2% du PIB jusqu’en 2070.
Mais le mot « stabilisé » cache une réalité cruelle. La France consacre 13,9% de son PIB aux retraites en 2024, soit nettement plus que la moyenne de la zone euro (11,5%). Ce niveau « stabilisé » repose sur des choix de répartition intra- et intergénérationnels qui commencent à générer des tensions. Les jeunes de 20 à 39 ans consacrent 39% de leurs revenus au financement de la protection sociale, contre seulement 25% pour les plus de 65 ans. Comment expliquer à un jeune précaire que ses cotisations doublent celles d’un retraité propriétaire ?
Les réformes des retraites, aussi nécessaires qu’elles aient pu être, ne règlent pas le problème fondamental : le contrat social implicite entre générations est fragilisé par des asymétries croissantes.
Santé et dépendance : le gouffre financier qui s’ouvre
Là commence le véritable drame annoncé. Le rapport identifie un enjeu que les gouvernements successifs ont évité de nommer clairement : le financement de la perte d’autonomie de millions de Français devenus très âgés. Les dépenses publiques sensibles au vieillissement représentent déjà plus de 40% des dépenses publiques totales en 2023.
Le financement de la dépendance (allocation personnalisée d’autonomie (APA), établissements médico-sociaux, services à domicile) doublera d’ici 2060, passant de 1,11 point de PIB à environ 2 points.
Aucun financement stable n’est prévu pour absorber ce choc. La branche Autonomie de la Sécurité sociale, créée en 2021, dispose d’un budget de 33,2 milliards d’euros en 2025, en hausse de 5,4% par rapport à 2024. Mais les projections montrent que ces ressources seront largement insuffisantes.
C’est une bombe sociologique. Cela signifie que demain, les familles les plus aisées paieront pour une prise en charge à domicile ou en établissement digne, tandis que les autres dépendront de structures publiques sous-financées. C’est la mort du principe d’égalité devant un besoin fondamental. C’est aussi une charge supplémentaire pour les salariés du secteur médico-social, déjà épuisés par des conditions de travail dégradées, des salaires stagnants et un manque chronique de reconnaissance.
Recettes publiques : l’érosion programmée
Le rapport trace un graphique économique clair : l’érosion des recettes est inéluctable. À mesure que la population active baisse, l’assiette des prélèvements obligatoires rétrécit.
Cela vaut pour la CSG, les cotisations de sécurité sociale, l’impôt sur le revenu associé aux salaires. Le seul levier disponible sans restructurer la fiscalité serait… une augmentation massive des prélèvements sur le travail. Cela signifie une hausse des cotisations sociales ou une augmentation des impôts directs sur les salaires.
Mais la France a atteint les limites de la fiscalité du travail. Le coût de la main-d’œuvre s’est déjà tiré vers le haut. Les comparaisons avec l’Allemagne ou les pays nordiques montrent qu’il existe des marges sur la progressivité fiscale, sur l’imposition du capital ou des revenus financiers, sur les écotaxes ou les taxes comportementales.
Autrement dit, il faudra travailler plus longtemps, ou repenser la répartition du travail, ou augmenter l’immigration économique, ou accepter une réduction des dépenses publiques, ou multiplier les leviers simultanément. Il n’existe pas de solution unique.
Le découplage entre réalité démographique et programmation budgétaire
Les documents de cadrage budgétaire français ne mentionnent presque jamais les défis démographiques, tandis que les programmes de stabilité soumis à Bruxelles font au moins semblant d’y réfléchir. Cela signifie que la France élabore des prévisions budgétaires trop optimistes, qu’elle repousse les ajustements inévitables, qu’elle limite la prévisibilité pour les acteurs économiques et sociaux. Cette déconnexion entre réalité et programmation est le symptôme d’une incapacité politique à affronter l’ampleur des choix à faire. Il est plus facile de ne pas en parler que de dire au pays qu’il faudra revoir fondamentalement la protection sociale.
Le SNFOCOS et le syndicalisme de santé face au défi
Pour le syndicat national FO des cadres des organismes sociaux, ce rapport est un document qui confirme bon nombre de propositions du SNFOCOS — la défense de la sécurité sociale, l’opposition à la « Grande Sécu » et à la revendication d’une branche Autonomie robuste et à financement collectif et public . Pour le SNFOCOS encore, il ne s’agit plus seulement de défendre des acquis, mais de proposer une vision. Comment organiser collectivement la prise en charge de millions de personnes en perte d’autonomie ? Comment valoriser les métiers de l’accompagnement, de la santé, du soin ? Comment rendre attractif un secteur où les salaires stagnent et où les conditions de travail se dégradent ?
Le SNFOCOS revendique, à juste titre, la revalorisation des métiers du grand âge et de la perte d’autonomie. Mais cette revendication ne peut être isolée. Elle doit s’inscrire dans une proposition cohérente sur le financement du système, le partage des charges intergénérationnelles, le modèle d’organisation du travail. Les syndicats doivent devenir force de proposition, pas seulement force de contestation.
Sources
https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_grand_age_autonomie.pdf