On en connait les effets. La charge de travail que l’on impose aux différentes catégories de l’encadrement conduit les personnels concernés à dépasser régulièrement les amplitudes réglementaires de la durée du travail. De telles situations ne sont pas sans conséquences en termes d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle comme en termes de santé. En outre, les directions d’organismes qui couvrent ces dérives parfaitement connues se dispensent de rémunérer les heures supplémentaires accomplies par les intéressés ainsi victimes de la double peine ! Chacun sait que dans une situation de cette nature, la responsabilité de l’employeur est engagée.
Conscientes de ce risque, des directions d’organismes ont décidé de lutter contre de telles pratiques. Qu’on ne se méprenne pas ; il n’est pas question de faire une étude, une expertise, de répondre aux avertissements des IRP ou des délégués syndicaux afin de remédier à une organisation déficiente. On préfère occulter la réalité ou la nier. Une autre solution à la faveur de ces managers, le forfait-jours si la situation du cadre le permet.
Là encore, il ne faut pas se méprendre ; quand on parle de situation du cadre, il ne s’agit pas obligatoirement de cadres qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées selon le Code du travail (art. L 3121-43). Il ne s’agit pas de salariés dont la nature des fonctions ne leur permet pas d’observer l’horaire collectif mais de cadres dont le niveau de classification fait qu’ils appartiennent à une des catégories définies par l’accord collectif sur l’ARTT.
La manœuvre est si peu claire que, dans les informations qui remontent jusqu’à nous, il est question de pressions exercées sur les intéressées avec des menaces à peine voilées de licenciements s’ils refusent de signer la modification de leur contrat de travail tout cela sans consultation des IRP! Faut-il rappeler que comme tout forfait, le salarié doit avoir donné son accord formalisé par un écrit (Code du travail, art. L3121-40). La jurisprudence en vigueur précise qu’une simple référence dans le contrat de travail à l’accord collectif ne constitue pas cet accord écrit (Cass. Soc., 31 janvier 2012, n°10-17.593) ; elle dispose en outre que le fait de soumettre un salarié à un forfait-jours sans avoir établi un contrat en bonne et due forme caractérise un travail dissimulé (Cass. Soc., 28 février 2012, n°10-27.839).
Pourquoi d’ailleurs se limiter au seul forfait-jours alors que la loi envisage différents types de forfaits comme le forfait-heures. La réponse est tout simplement là encore dans la jurisprudence qui traite bel et bien des heures supplémentaires. On comprend mieux l’intention cachée des directions d’organismes qui veulent à tout prix se couvrir au détriment de leurs cadres qui doivent travailler toujours plus pour le même salaire.
Tout ceci conforte l’analyse que nous faisions à l’époque de la mise en application de la loi dite « des 35 heures » ; cette mesure phare pouvait ressembler à un marché de dupes (pour les salariés). C’est aussi un avant-gout des conséquences de la loi travail si celle-ci venait à s’appliquer.
Les informations dont nous disposons montrent que ces pratiques concernent des organismes de branches différentes ainsi que des catégories de cadres très variés. Y at-il un mot d’ordre occulte qui circule ?
Gino Sandri