Créés respectivement en 1947 et 1961, les régimes de retraite complémentaire pour les salariés du privé, cadres puis non cadres, ont incontestablement permis à l’immense majorité des retraités de passer de « retraités pauvres » à retraités. Les études indiquent aujourd’hui que le niveau de revenus des retraités est en moyenne égal à celui des actifs, voire au-dessus pour certains.
Pour autant, attention à ne pas prêter l’oreille aux sirènes qui reprochent entre autres, aux retraités d’être plus majoritairement propriétaires que les actifs. Ce qui de notre point de vue revient à reprocher aux séniors d’avoir investi une vie de labeur dans un logement !
Ces résultats positifs, dans le privé, sont à mettre au crédit des régimes complémentaires de branches ou même d’entreprise, créés à partir de négociations entre salariés et employeurs. Le choix de la répartition était naturel, la technique des points permet un pilotage des paramètres, comme l’ont démontré les dizaines d’accords nationaux interprofessionnels signés depuis la création des régimes.
Cette technique en point, pour une complémentaire, vient en appui d’un régime de base, en annuité, par essence solidaire. Cela permet donc à chacune et chacun de trouver le « reflet » au plus juste de sa carrière tout en étant solidaire des plus modestes. L’objet social de la retraite n’a jamais été autre que celui de refléter sa vie active au cours de laquelle, justement, on construit sa retraite.
Force Ouvrière a été de l’aventure depuis le début, et si le dernier accord n’avait pas dans les faits reculé l’âge de la retraite, FO l’aurait signé. Nous aurions vraisemblablement également conservé la présidence détenue depuis près de 50 ans.
Ces deux régimes, AGIRC et ARRCO, vont devenir un à partir de janvier 2019, mais le rôle du nouveau régime sera le même : celui d’assurer entre 35 et 60 % de la retraite d’un salarié du privé.
Il aurait peut-être fallu, il y a longtemps, trouver un autre qualificatif que « complémentaire » : essentiel ? Pourquoi pas. Force est de constater que les régimes complémentaires sont essentiels aux régimes de base, eux-mêmes fondamentaux pour FO. La gestion des régimes est paritaire, la gouvernance se partage à égalité entre salariés et employeurs. Il est bon à ce sujet de rappeler que le terme « paritarisme » a été employé pour la première fois par André BERGERON.
Cette gestion singulière a été reconnue performante par la Cour des comptes elle-même dans un rapport de 2015 ! Une des raisons de cette conduite de régime, n’en déplaise à nos détracteurs, c’est que le « temps syndical » n’est pas le temps politique.
Une retraite c’est 70 ans : 40 ans de construction, 20 de droit propre et 10 de droit dérivé. Sur ce laps de temps s’écoulent bon gré mal gré 14 campagnes électorales !
La réforme annoncée vient tuer cette construction : le Haut-Commissaire a confirmé la création d’un « système universel public » dont le périmètre de cotisations (l’assiette) serait de trois plafonds de la sécurité sociale (PASS), soit environ 10 000 € bruts par mois. Pour les salariés, ces 3 PASS englobent 96 % de la masse salariale, et ce système public indique clairement une dépossession de la gouvernance des paritaires au profit de l’Etat, sous quelque forme que ce soit.
La grand faiblesse du paritarisme tient sans doute dans la certitude du travail bien fait autant que dans une auto persuasion que le Politique, qui a « donné les clés du camion » en 1972, ne les reprendrait pas. Nous y sommes, si le projet arrive à son terme, la complémentaire que l’on a fabriquée disparaîtra dans quelques années.
Pas de nostalgie dans mes propos, de l’amertume et une grande lucidité : comment le Politique pouvait encore longtemps ignorer 75 MDS€ distribués en dehors de son contrôle ?
Comme pour la gouvernance de « la Sécu », il aura mis le temps mais, in fine, il prend le pouvoir, ou plus exactement, le reprend aux interlocuteurs sociaux, qui n’ont pourtant pas montré leur défaillance dans la prise de responsabilité et le pilotage politique desdits régimes complémentaires.
Rêvons un peu : c’est peut-être pour distribuer plus ?
La réalité est beaucoup plus dure, elle s’appelle « loi de programmation des finances publiques », votés par la majorité parlementaire actuelle, qui impose des économies à la sphère sociale au service du budget de l’Etat, le 22 Janvier 2018.
Mais rappelons que la répartition c’est une chaîne qui nous vient du passé et tend vers l’avenir, les experts appellent cela l’intergénérationnel. Il existe donc des engagements forts et longs dans le temps.
Qui donc des milliards de points achetés par des millions de salariés au moment de l’entrée en vigueur de la loi ?
Ils seront bien sûr honorés, comment pourrait-il en être autrement, mais sur quels financements ?
Deux hypothèses peu alléchantes : on reprend une dose de CADES ou on fait jouer le déficit ? Dans un cas comme dans l’autre, la collectivité chargera la barque de ses enfants, ce que devait éviter cette réforme à en croire ses promoteurs.
Cette réforme, si elle aboutit, va faire disparaître toute la construction liée à notre système de retraites.
Elle aura bien d’autres travers, que ce soit pour les agents du public comme pour les salariés du privé, mais mon propos veut rester sur cette mort programmée d’institutions qui auront eu l’honneur d’œuvrer pendant des décennies pour l’intérêt des dizaines de millions de salariés du privé.
Je regrette profondément cette volonté, basée sur de présupposés voire des visées comptables à long terme.
Décidément, le temps politique n’est pas compatible avec le temps des interlocuteurs sociaux, et celui de l’intérêt général.
Philippe Pihet, Secrétaire Confédéral FO