Depuis 1946, l’Organisation Mondiale de la Santé définit la santé dans le préambule à sa Constitution. Selon ses termes, « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité».
Dans un pays comme la France qui revendique offrir un modèle d’Etat Providence, la santé occupe une place centrale, ce que les auteurs du numéro spécial de la Revue de l’IRES n’ont pas manqué de souligné en début d’année 2018.
A cet égard, le SNFOCOS a notamment produit deux analyses portant sur deux rapports récents.
Dans un premier temps, c’est la problématique de l’accès aux soins (envisagée dans le rapport VIGIER), un élément majeur, pour ne pas dire la variable d’ajustement permettant à chacun d’atteindre l’état de complet bien-être physique, mental et social.
Dans un second temps, c’est autre élément majeur, la prévention et sa prise en compte dans le rapport LECOCQ, qui est développé.
Le SNFOCOS vous propose ici deux résumés et vous invitent à vous connecter dans le menu « adhérents » sur le site internet du SNFOCOS pour en savoir plus. Vous y trouverez des analyses que vos remarques et contributions (à adresser par mail à snfocos@snfocos.fr) pourront alimenter pour faire avancer nos revendications.
I – L’accès aux soins, le souci quotidien
La question de l’accès aux soins revient régulièrement sur le devant de la scène. Sur l’exercice 2017-2018, ce sont ainsi la Cour des comptes et le CESE qui s’y sont intéressés avant que la commission VIGIER ne vienne à son tour rendre un rapport. Du point de vue méthodologique, ce rapport s’appuie sur une compilation de données et d‘auditions (experts, acteurs, usagers du système de santé).
Ledit rapport part d’un bilan : il existe des difficultés d’accès aux soins et elles s’aggravent sur l’ensemble du territoire. Pourquoi ? :
- Manque de médecins
- Une répartition territoriale des médecins marquée par son inégalité
- Echec des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale…
Ce bilan reprend des constats déjà partagés par les acteurs du terrain depuis longtemps. La Cour des comptes, dans son rapport sur l’avenir de l’Assurance Maladie de novembre 2017[1] stigmatisait déjà « un immobilisme persistant dans la rationalisation des soins de ville », « un renoncement croissant à la restructuration de l’hôpital », « des modes de régulation en échec » marqués par une répartition de l’offre de soins défectueuse, et notamment une « aggravation des disparités territoriales, résultat de l’absence de volonté politique »2. La Cour estime que « si la démographie des professions de santé est globalement en hausse, les choix géographiques d’installation en soins de ville ne sont en rien corrélés aux besoins objectivés de soins ni à des caractéristiques socio démographiques ».
A la lecture du rapport VIGIER, outre les mauvais choix politiques depuis 30 ans dont le numerus clausus, les français sont confrontés à :
- des délais d’attente trop longs pour obtenir un rdv, y compris pour des examens rendus obligatoires par la législation sociale pour les assurés souhaitant se voir reconnaitre une maladie professionnelle
- l’impossibilité de trouver un médecin en dehors des horaires standards (les obligeant à prendre des congés pour se soigner),
- des refus de prendre des nouveaux patients de la part de médecins dans les zones confrontées à la désertification médicale
- à leur propre vieillissement (et partant à la recrudescence des besoins liés à la dépendance) ainsi qu’à celui des médecins (et partant à la problématique liée à leur non remplacement automatique).
La Cour des comptes avait stigmatisé des mesures correctrices qu’elle jugeait notoirement insuffisantes et essentiellement incitatives. Elle proposait de réguler les installations en soins de ville et exposait 2 scénarios à cet effet :
- l’extension du conventionnement sélectif à toutes les professions de santé, et plus particulièrement les médecins, dans l’ensemble des zones les mieux dotées
- elle privilégie toutefois le recours au conventionnement individuel généralisé à l’ensemble du territoire3
Quand Mme BUZYN dit que « les très mauvais décisions prises par les gouvernements successifs ont abouti à la catastrophe que nous connaissons aujourd’hui », elle a à la fois raison et tort :
- elle a raison car ce sont bien les gouvernements et les parlementaires qui ont pris les (mauvaises) décisions
- elle a raison car ces décisions ont été prises sur la base de prismes erronés : maitriser les dépenses de santé, maitriser les prescriptions, maitriser les effectifs
- elle a tort car ce sont peut-être au final les médecins qui eux-mêmes ont créé cette situation. En effet, la démographie des membres des gouvernements et de l’assemblée fait ressortir une surreprésentation des médecins dans leurs rangs, ce ne sont pas des ouvriers ou des employés ou des chefs d’entreprises qui ont influencé et pris les décisions. La retranscription de l’examen en commission dudit rapport va dans ce sens. Le rapporteur reconnait, suite à l’intervention d’un médecin parlementaire défendant sa profession, que des efforts rédactionnels avaient été fait pourtant pour que « chacun s’y retrouve » (sous-entendu pour ne pas froisser les professionnels ciblés)
- elle a ensuite tort car les discours des syndicats de médecins ont participé, voire souhaité peut être, une situation de pénurie pour se créer une situation de rente au détriment des patients (le cas du syndicat récemment créé par les médecins intérimaires dans le grand ouest pour toucher des indemnités supérieures).
Pour autant, à comparer les 3 contributions (CESE, Cour des comptes, commission VIGIER), c’est peut-être le CESE qui a l’approche la plus pragmatique. Il convient de s’interroger sur les motifs de non reprises de certaines de ses préconisations :
- Soumettre à l’évaluation les aides financières à l’installation. Il est ainsi regrettable que les médecins bénéficient de chèques en blanc émanant de diverses structures sans même avoir de compte à rendre aux collectivités, à l’assurance maladie, à l’Etat… Depuis 2017, l’assurance maladie verse ainsi 50 000 euros sur 3 ans à chaque médecin installé. L’évaluation permettrait de supprimer celles qui sont porteuses d’un effet d’aubaine « excessif », de privilégier les aides « efficaces » et de demander aux médecins de rendre des comptes.
- Libérer du temps médical en incitant les médecins de secteur 1 à disposer d’un.e secrétaire médicale.e dans les zones sous denses. 7 médecins sur 10 en secteur 1 ne disposent pas d’un secrétariat médical.
Mais c’est bien le rapport VIGIER qui a nourri le Plan Santé présenté par M. MACRON. Officiellement, il fait de l’accès aux soins « la priorité des priorités ». Or, une nouvelle fois, c’est l’incitation qui est privilégiée : les effets d’aubaine continueront de prospérer au profit de certains professionnels de santé. Les patients et le secteur hospitalier ressortent comme les parents pauvres de ce plan qui se veut pourtant la première pierre à la construction de l’Etat Providence du XXIe siècle.
II – La prévention, le pendant nécessaire
Il convient de le rappeler : l’article L. 1411-1-1 du code de la santé publique donne une portée législative à la stratégie nationale de santé (SNS) définie par le Gouvernement. Pour autant, cette stratégie n’englobe pas la santé au travail.
Or, la Santé, c’est aussi la Prévention et à cet égard, l’actualité nous offre de la matière.
Comme l’ont signalé les auteurs de la revue de l’IRES, l’organisation du travail participe de la santé, positivement ou négativement. En 2010, un rapport LACHMANN4 sur le Bien-être et l’efficacité au travail avait évoqué 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail5.
En 2016, les partenaires sociaux ont élaboré avec la direction générale du travail (DGT) le Plan Santé Travail (PST 3) avec comme axes principaux :
- la prévention des risques psychosociaux et des troubles musculosquelettiques,
- la prévention de la désinsertion professionnelle,
- la promotion de la qualité de vie au travail.
Voici quelques semaines, c’est le médiatisé Rapport LECOCQ sur la santé au travail qui a été rendu. A cet égard, suite à l’entretien que la délégation FO a eu avec le Premier Ministre, Pascal PAVAGEAU avait indiqué qu’une « négociation interprofessionnelle devrait s’ouvrir en octobre sur des points à bâtir en septembre, soit issus du rapport Lecocq (voir communiqué confédéral du 28 août 20186) soit proposés par les interlocuteurs sociaux ».
Le CESE souhaitait que soit initiée et diffusée une culture collective de la prévention7. La mission LECOCQ semble avoir voulu donner corps à cette idée mais quelle illusion que de croire que « l’appropriation d’une culture de prévention nécessitera des pratiques managériales renouvelées mais que ce renouvellement passera par un volet de formation conséquent » en pensant qu’il suffira de dire que « le changement c’est maintenant » pour que ça marche. Une culture ne s’improvise pas, elle se crée sur le long terme8, et les initiatives existantes ne peuvent pas suffire à rattraper des décennies de retard en la matière. En matière de santé, la France souffre des clivages qu’elle a institué : Médecine de ville vs Hôpitaux, Médecine du travail vs Médecine de ville…et désormais, elle cherche à résoudre les problèmes engendrées par ces dichotomies : renoncement aux soins, déserts médicaux, manque d’attractivité de la médecine du travail, absence de culture de la santé au travail et de la prévention…
Pour conclure, un mot sur l’Assurance Maladie. Elle occupe une place centrale : « interface entre la santé publique et le monde du travail » à travers deux bras armés : la branche maladie et la branche risques professionnels. La mission LECOCQ le souligne d’ailleurs « l’action conjuguée des deux branches concourt en tout état de cause à améliorer l’état de santé d’une grande part de la population et place l’institution à l’interface des problématiques de santé population générale/ population au travail ». Pour étayer l’édifice de « l’Etat Providence 2.0 », peut-être est-ce le rôle de l’Assurance Maladie qu’il faudrait renforcer en lui donnant réellement davantage de moyens. Outre le fait de satisfaire les organisations syndicales attachées au paritarisme, cela confirmerait que le gouvernement ne veut pas écarter ces dernières du paysage de la protection sociale, laquelle s’en trouverait renforcée. Mais cela impliquerait également que l’Etat lâche prise : il ne doit pas utiliser les conventions d’objectifs et de gestion, et leurs déclinaisons, comme un instrument de déstructuration s’appuyant sur la réduction des effectifs, ce à quoi notre organisation syndicale n’a de cesse de s’opposer. Si des conventions d’objectifs et de gestion doivent être utilisées, elles doivent avoir un seul objectif, la satisfaction du bénéficiaire et la gestion devrait se faire par l’allocation de moyens pérennes, avec des possibilités de report des crédits non utilisés.
[1] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-11/20171129-rapport-avenir-assurance-maladie_0.pdf
2 Selon la cour des comptes, « la répartition des professionnels de santé libéraux sur le territoire constitue un enjeu majeur d’accès aux soins et d’efficience du système de santé » (p115).
3 Cour des comptes, Rapport sur l’avenir de l’assurance maladie – P126-127
4 www.dgdr.cnrs.fr/drh/protect-soc/documents/fiches_rps/rapport_lachmann.pdf
5 Parmi les auteurs du rapport LACHMANN, il faut citer Madame PENICAUD, alors DGRH Danone, qui ne manquera surement pas de faire le parallèle entre les 2 rapports.
6 Dans ce communiqué, Serge LEGAGNOA indiquait notamment que FO refuse que la prévention des risques professionnels soit abordée uniquement comme un cout, que la qualité des conditions de travail est un facteur déterminant en matière de prévention et que la prévention doit rester de la responsabilité de l’employeur.
7 https://www.lecese.fr/travaux-publies/les-enjeux-de-la-prevention-en-matiere-de-sante
8 Rappelons qu’en sociologie, la culture est définie comme ce qui est commun à un groupe d’individus et le soude.
Analyses des rapports VIGIER ET LECOCQ en ligne sur le site internet du SNFOCOS (menu adhérents)