Dans un projet de loi où la fabrication du « cœur du réacteur » est laissée au gouvernement via un nombre d’ordonnances jamais vu sous la Vème République, le recours au 49-3 devient accessoire tant le législateur abandonne son pouvoir au profit de l’exécutif.
A l’heure où ces lignes sont écrites, la seule question qui reste en suspens n’est plus « si » mais « quand » le gouvernement dégainera son arme ?
Laissons aux politiques les vaines querelles quant à la responsabilité de son utilisation pour revenir au fond : la réforme des retraites portée par le Gouvernement est une réforme rejetée par plus de la moitié de la population.
Le fond, parlons en une fois de plus, à travers deux sujets : la gouvernance du système et l’utilisation « libre » des réserves.
La gouvernance du système
La conférence sur le financement a à connaître de la gouvernance, comme pour les concertations, un document a été fourni aux participants avant la séance.
Nous savions déjà que si ce projet de loi voit le jour, il condamnera de fait la gestion paritaire d’un quart de la retraite obligatoire dans notre Pays (l’AGIRC ARRCO gère 80 milliards sur un total de 325).
Ce que nous apprend le document de travail, c’est le carcan dans lequel se trouveront les membres du conseil d’administration de la CNRU :
En tant que dépenses de sécurité sociale, les objectifs de dépenses des régimes de retraite doivent figurer en loi de financement de la sécurité sociale et être votés par le Parlement. Ce cadre financier doit être respecté.
Puis un peu plus loin « respect des orientations de la LPFP (Loi de Programmation des Finances Publiques) »
Pour l’opinion publique, la LPFP n’a pas le « rayonnement » qu’elle devrait avoir. Votée pour cinq exercices (années), elle sert de feuille de route au niveau de la commission européenne.
La dernière en date, votée par la majorité et promulguée le 22 Janvier 2018, stipule que la « sphère sociale » devra économiser environ 30 milliards € sur cinq ans.
Dans une annexe de cette même loi, on peut lire que « les branches famille et vieillesse » participeront aux économies.
Autre apport du document :
Pour le projet de loi instituant un système de retraite universel, le Conseil d’Etat a ainsi estimé nécessaire que, pour la fixation du taux de cotisations, le décret pris à la suite de la délibération du conseil d’administration de la CNRU puisse refuser de valider l’évolution des taux de cotisation pour tout motif d’intérêt général.
Pas besoin de commentaire additionnel…
L’utilisation « libre » des réserves
Lors de l’examen par la commission spéciale des amendements (ceux qui ont pu être traités), un amendement qui concerne l’article 15 a retenu toute notre attention. C’est très technique mais aussi très dangereux !
Il s’agit de laisser la « liberté », aux caisses de retraites qui en ont, d’utiliser leurs réserves pour « alléger » les augmentations de taux de cotisations.
L’exemple qui vient tout de suite en tête, ce sont les avocats : ils refusent de voir leur taux de cotisations passer de 14 à 28%. Pour tenter de les apaiser, le gouvernement, via l’amendement en question, leur dit qu’ils pourront se servir de leurs réserves pour lisser l’augmentation de 14 à 28 dans le temps.
Apparemment les avocats savent aussi compter…ce « cadeau » est par essence à durée limitée (le temps d’épuiser les réserves) alors que l’augmentation du simple au double, elle, est viagère.
En quoi cela concerne-t-il les salariés ?
Cet amendement s’adresse aux régimes de retraite complémentaire obligatoires mentionnés au chapitre Ier du titre II du livre IX du code de la sécurité sociale, en clair à l’AGIRC ARRCO…
Il pourrait être utilisé dans ce cas pour lisser « à l’envers » la perte de cotisations qu’il y aurait entre 3 et 8 plafonds. Nous avons déjà évoqué ce sujet, le fait de ne plus cotiser au taux actuel entre 3 et 8 plafonds « coûterait » au régime quelque 3,5 milliards € la première année d’application !
Actuellement, entre 3 et 8 plafonds, la cotisation appelée est de 24,64 %, « demain » elle serait de 2,81%.
Les réserves seraient alors laissées « librement » à disposition des partenaires sociaux pour combler les déficits années après années.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les réserves s’épuiseraient en moins de dix ans !
Deux questions se poseraient alors :
- qui paieraient les droits acquis des anciens salariés qui ont eu des rémunérations supérieures à trois plafonds pendant leur activité ?
- quelle serait leur situation si « personne » ne payaient? Il faut rappeler que ces salariés, même s’ils sont très peu nombreux dans nos organismes (et inexistant au-dessus de 4 plafonds) ont cotisé et donc acquis des DROITS qui doivent être honorés.
Si les réserves AGIRC ARRCO venaient à être utilisées dans ce cas, les plus modestes, qui ont aussi contribué à constituer les réserves, viendraient financer les retraites des plus hautes rémunérations.
Que l’on ne s’y trompe pas, les cadres, y compris la confédération de l’encadrement, ne sont pas demandeurs, la confédération ayant d’ailleurs rejoint la nôtre dans le refus de ce projet de loi.
Et quand les éléments de langage pour la « vente du projet » parlent de justice, on peut s’interroger !
En cela comme pour la gouvernance, il ne peut y avoir de dupe, seulement des complices !
Philippe PIHET, Conseiller confédéral