Article InFOmilitante du 13 décembre 2020 – Clarisse Josselin

Au terme d’une âpre négociation de six mois, les organisations syndicales et patronales sont parvenues à un compromis dans la nuit du 9 au 10 décembre sur un accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail. Ce texte, axé sur le développement de la prévention, a reçu un avis favorable de la part des négociateurs FO, CFDT et CFE-CGC du côté syndical – largement majoritaires en termes de représentativité – et du Medef et de l’U2P du côté patronal. La CGT ne signera pas tandis que la CFTC et la CPME réservent leur réponse. FO a donné son accord l’après-midi même, après avoir réuni un bureau confédéral exceptionnel. Les interlocuteurs sociaux ont jusqu’au 8 janvier 2021 pour signer le texte.

« Une négociation longue et compliquée, sur un sujet tout aussi compliqué ». C’est ainsi que Serge Legagnoa, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale collective et chef de file de la délégation FO, a qualifié les discussions engagées depuis mi-juin entre les organisations syndicales et patronales sur une réforme de la santé au travail. Il aura fallu treize séances de négociation pour que les interlocuteurs sociaux parviennent à trouver, dans la nuit du 9 au 10 décembre, un terrain d’entente autour d’un accord national interprofessionnel (ANI).

FO a réuni dès l’après-midi du 10 décembre un bureau confédéral exceptionnel qui a décidé de signer cet accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail. A l’issue de la négociation, le texte avait reçu un avis favorable de la part des négociateurs FO, CFDT et CFE-CGC du côté syndical et du Medef et de l’U2P du côté patronal. Si la CGT ne signera pas, la CFTC et la CPME réservent leur réponse. Les organisations syndicales et patronales vont désormais réunir leurs instances. Elles ont jusqu’au 8 janvier 2021 pour signer le texte.

L’ANI est un document de 27 pages et comporte quatre parties :  promouvoir une prévention primaire opérationnelle au plus proche des réalités du travail, promouvoir une qualité de vie au travail en articulation avec la santé au travail, promouvoir une offre de services des SPSTI efficiente et de proximité et  une gouvernance rénovée au niveau national et au niveau régional. Il met en place une nouvelle approche de santé au travail, en passant d’une culture de la réparation à une culture de la prévention. Il propose également une meilleure articulation entre les politiques de santé et de sécurité au travail et une démarche plus globale d’amélioration de la qualité de vie au travail dans l’entreprise.

Une commission dédiée dans les branches

FO revendiquait cette négociation depuis plusieurs années pour assurer une véritable protection de la santé des travailleurs et améliorer le système. L’un des enjeux était de mettre en place une culture de la prévention. C’est chose faite. Le dispositif de santé au travail en France, à travers ses politiques publiques et institutionnelles, a trop longtemps été centré sur la réparation au détriment d’une approche positive donnant la priorité à la prévention primaire et mettant au centre des préoccupations le développement de la culture de prévention précise le préambule. Et d’ajouter le présent accord s’inscrit (…) dans cette dynamique de long terme d’amélioration de la culture de prévention ».

En matière de prévention primaire — les actions mises en place en entreprise pour lutter contre les risques professionnels — l’ANI précise que la logique est de s’attaquer en amont aux causes profondes de ces risques avant qu’ils ne produisent leurs effets. Cette prévention doit être centrée sur les réalités du travail pour préserver la santé et lutter contre la désinsertion professionnelle. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) reste l’outil essentiel d’évaluation des risques professionnels et de la traçabilité des expositions.

Une autre revendication de FO reprise dans l’ANI est la possibilité de généraliser une commission dédiée à la santé au travail dans toutes les branches professionnelles. Autre avancée, la possibilité d’élargir les CSSCT en dessous du seuil de 300 salariés, pour compenser la disparition des CHSCT avec la mise en place des CSE.

Serge Legagnoa se réjouit de la prise en compte des risques psychosociaux (RPS), sujet tabou pour les organisations patronales. L’ANI précise que sur le champ de l’activité professionnelle, l’employeur se doit d’évaluer et de mettre en place les actions de prévention, tout en respectant strictement la vie privée du salarié. Le texte évoque également la prévention des troubles musculo-squelettiques.

Des points rédhibitoires pour les organisations syndicales ont perduré jusqu’aux derniers jours de négociation. Ainsi, les organisations patronales ont tenté de déresponsabiliser les employeurs en matière de santé et sécurité au travail. Elles souhaitaient faire inscrire dans le Code du travail une disposition limitant cette dernière à une stricte obligation de moyens de prévention. La responsabilité de l’employeur est rappelée de façon formelle, a précisé Serge Legagnoa à l’issue de l’ultime réunion. Même si la jurisprudence est rappelée à la demande du patronat, nous avons fait sauter tout ce qui pouvait réduire cette responsabilité.

Préserver le paritarisme

Un autre enjeu pour FO était de préserver le paritarisme en matière de santé au travail, et empêcher le gouvernement de reprendre la main en étatisant la santé au travail. Les services de prévention et de santé au travail (SSTI), créés par les employeurs du secteur privé pour répondre à leur obligation en matière de santé des salariés, deviennent les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI). Ils voient leurs missions renouvelées.

Pour une meilleure homogénéisation de ces structures, ils devront proposer une offre socle minimale labellisée pour répondre à trois missions : la prévention, le suivi individuel des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle. Des cellules de prévention de la désinsertion professionnelle seront mises en place au sein des SPSTI pour favoriser le maintien dans l’emploi des salariés suite à un problème de santé.

Les offres de service de ces structures doivent être les mêmes sur tout le territoire, ajoute le négociateur FO. Un cahier des charges de la certification sera élaboré par les interlocuteurs sociaux. Ce principe de certification permet de vérifier l’efficacité et l’effectivité des services rendus et d’offrir un encadrement précis. Et la question de l’agrément est également rappelée.

Ces structures restent présidées par les employeurs, comme le souhaitait FO. Mais la gouvernance devient totalement paritaire. Et la commission de contrôle, que le patronat avait tenté de faire disparaître, voit son rôle renforcé, notamment sur le droit d’alerte et sa capacité d’ester devant la Direccte.

Le rôle des médecins du travail préservé

Pour faire face à la pénurie de médecins du travail, l’ANI instaure une passerelle avec la médecine générale. Il sera fait appel à des « médecins praticiens correspondants », médecins généralistes volontaires et qui seront formés pour suivre la santé au travail des salariés. FO avait revendiqué la mise en place préalable d’une expérimentation, proposition qui n’a pas été retenue. Nous avons fait rajouter dans le texte qu’un bilan sur les modalités de recours à ces médecins praticiens correspondants sera soumis à la Commission de contrôle et au Conseil d’administration, ajoute Serge Legagnoa. Cela nous rassure sur le fait que ce lien ne va pas interférer sur le rôle du médecin du travail. Le rôle des médecins du travail est non seulement préservé mais aussi renforcé avec deux missions complémentaires autour de la prévention et de la prévention de la désinsertion professionnelle.

FO s’est également battue pour préserver le paritarisme dans la gestion de la branche ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles) au sein de la sécurité sociale. Cette branche réalise chaque année plus d’un milliard d’euros d’excédents, sommes que le gouvernement voudrait récupérer pour les intégrer au budget de l’État. L’ANI stipule que les excédents de la branche ATMP doivent prioritairement permettre aux fonds de prévention de la branche ATMP de porter les moyens humains, techniques et les incitations financières de la branche (CARSAT, INRS) à un niveau correspondant aux ambitions du présent accord. Cela permet d’avoir les moyens de nos ambitions sur la prévention, ajoute Serge Legagnoa.

Le gouvernement avait donné aux négociateurs jusqu’à la fin de l’année 2020 pour trouver un accord. Au-delà, l’État risquait de prendre la main. La députée de la majorité Charlotte Lecocq, auteur d’un rapport en 2018 qui préconisait de faire table rase du système actuel pour tout étatiser, travaille actuellement à une proposition de loi sur la santé au travail qui devrait être examinée au cours du premier semestre 2021 selon l’AFP.

La ministre du Travail Élisabeth Borne a indiqué dans un communiqué du 10 décembre que la transcription de l’ANI dans le droit du travail se fera dans le respect de son contenu et de son équilibre. FO y veillera.