Le transfert du contrôle médical vers les CPAM, effectif depuis le 1er octobre, illustre une méthode managériale aux antipodes des transformations réussies : brutale, verticale et sourde aux réalités du terrain.

« Les meilleures transformations sont celles qui n’en portent pas le nom. » Cette maxime, aurait gagné à inspirer la CNAM dans sa restructuration du service du contrôle médical. Mais force est de constater que l’institution a préféré le coup de force à la transition en douceur, prouvant par l’absurde la justesse de l’adage.

7200 personnels administratifs et praticiens-conseils se réveillent dans un nouvel organigramme : leur service, historiquement autonome depuis 1968, est désormais absorbé par les CPAM. Une « évolution nécessaire pour améliorer la proximité territoriale », selon la communication officielle. Sauf que sur le terrain, cette « proximité » ressemble davantage à un parachutage qu’à un accompagnement assumé.

L’art de la concertation par un décret express du 26 septembre pour un transfert au 1er octobre

La précipitation apparente de la manœuvre laisse perplexe. Le décret organisant cette reprise d’activité par les CPAM a été publié le 26 septembre 2025, soit cinq jours avant l’entrée en vigueur. Une cadence qui aurait fait sourire Antoine de Saint-Exupéry, lui qui écrivait dans Citadelle : « Le sens des choses ne réside point dans la provision une fois faite que consomment les sédentaires, mais dans la chaleur de la transformation, de la marche, ou du désir. »

La « chaleur » évoquée par l’aviateur-philosophe semble avoir été sacrifiée sur l’autel de l’efficacité bureaucratique. Aucun dispositif d’accompagnement digne de ce nom n’a été déployé pour nos collègues, dont l’identité métier reposait justement sur l’indépendance du service.

Force Ouvrière dénonçait une suppression du service médical maquillée en réforme organisationnelle par une démarche censée moderniser le système tout en négligeant le facteur humain. Cette réforme transforme en profondeur, mais en adoptant les méthodes les plus archaïques du management autoritaire.

L’ironie d’une révolution qui porte trop bien son nom

Plus révolutionnaire que transformation ? Sans doute. Mais au sens le plus brutal du terme : celui qui balaie sans reconstruire, qui déconstruit sans consulter.

En voulant labelliser cette mutation comme un grand chantier stratégique, la CNAM a précisément commis l’erreur que dénonçait notre maxime initiale. Elle a transformé un ajustement nécessaire en symbole de résistance, créant de facto les conditions de l’opposition là où la discrétion aurait facilité l’adhésion.

Les leçons d’une transformation manquée

Nommer à grands cris une transformation ne garantit ni sa réussite ni son acceptation. Au contraire, les évolutions les plus fécondes sont celles qui s’opèrent par ajustements successifs, en s’appuyant sur les acteurs plutôt qu’en les bousculant.

Le service médical de l’Assurance maladie méritait certainement une refonte. Mais entre adaptation nécessaire et révolution administrative, il existe un espace que Saint-Exupéry aurait appelé « la marche » : ce mouvement continu, porté par le désir collectif, qui transforme sans fracasser.

Ce qui s’est joué n’a rien d’une transformation feutrée et progressive. C’est une bascule, un arrachement organisationnel, mené au nom de l’efficacité, mais sans le patient travail d’appropriation qui donne chair aux réformes.

L’administration a choisi d’acter d’abord, d’expliquer ensuite. L’ordre des priorités s’en est trouvé inversé : équipes reconfigurées avant d’être rassurées, métiers redessinés avant d’être compris, circuits rebâtis avant d’être éprouvés. Dans un univers — la sécurité sociale — où l’adhésion se construit par la preuve, la méthode compte autant que l’objectif.

Faute d’un accompagnement digne de ce nom, le risque est double : une fatigue organisationnelle immédiate et une défiance durable.

La CNAM a transformé un chantier de fond en opération commando. Elle a crié fort sans arme ni bagages. Résultat : confusion hiérarchique, missions qui se télescopent et estomacs qui se nouent. La « froideur de la rupture » elle, se vit au quotidien.

En matière de management de projet, certains aiment la symphonie des ajustements feutrés. À la CNAM, on préfère le solo de clarinette, façon crépuscule totalitariste en guise de concertation express, six jours chrono.

Sur le terrain, on marche, à reculons, avec la grâce d’un parachutage à l’aveugle ; la proximité territoriale vantée ressemble à une course d’orientation sans boussole, ni lampion.

Tout déplacement précipité des lignes produit des ondes : charge mentale accrue, incertitudes de rôle, tensions inter-métiers. Là encore, la « chaleur » décrite par Saint‑Exupéry — celle d’un mouvement désiré et expliqué — fait la différence entre mutation et choc.

L’erreur : confier au seul dispositif la vertu de convaincre. Or, un dispositif n’est jamais qu’un moyen. Le sens vient de l’appropriation par celles et ceux qui le font vivre. Nommer « transformation » un changement subi ne le rend ni plus aimable ni plus efficace ; au contraire, cela discrédite la promesse de modernisation.

La CNAM, en choisissant la vitesse contre la profondeur, risque de découvrir à ses dépens que les provisions administratives « une fois faites » ne suffisent pas à créer du sens. Et que les vraies révolutions, celles qui durent, sont précisément celles qui n’en portent pas le nom.