Nous abordons ici un sujet qui ne peut pas être « grand public », il s’agit du titre IV du projet de loi sur l’organisation du futur système. Cette question ne peut laisser indifférents ni les adhérents du SNFOCOS, Agents de Direction (ADD) en tête, ni les administrateurs FO de tous les régimes obligatoires, intégrés, de base ou complémentaires.
Article 49
« Les modalités d’organisation du système universel de retraite consistent en la création d’un établissement de tête et d’un réseau territorialisé unifié.
La structure de tête sera un établissement public administratif qui aura pour mission d’assurer le pilotage
du système universel. Elle réalisera les missions classiques d’une caisse nationale. Elle sera administrée par un conseil d’administration paritaire composé des organisations syndicales représentatives et des organisations professionnelles représentatives représentant également les travailleurs indépendants, les professions libérales et les employeurs publics.
L’organisation interne de la Caisse nationale de retraite universelle sera fixée par ordonnance. »
A première vue, pour nous rien de novateur, nous connaissons les caisses nationales, ce que la délégation confédérale FO avait dit, il y a bientôt deux ans au HCRR.
C’est confirmé par le projet ce sera un Etablissement Public Administratif (EPA).
Cette connaissance nous amène à affirmer clairement que, sous couvert de paritarisme, dans les faits et en droit, le vrai pouvoir de gestion revient à l’Etat, qu’il s’appelle Exécutif ou DSS ne change rien.
Nous avions déclaré dans la même réunion que nous connaissions ce paritarisme particulier, soumis à tutelle, et nous avions poursuivi qu’en droit une personne sous tutelle n’est « pas capable » juridiquement.
Comme si dépouiller de leurs prérogatives les interlocuteurs sociaux qui gèrent en toute responsabilité depuis 70 ans le quart des retraites en France (AGIRC ARRCO), ne suffisait pas, l’article 50 vient donner des « précisions » édifiantes.
« Le présent article prévoit les modalités d’organisation à mettre en œuvre pour préparer l’entrée en vigueur du système universel de retraite dès la publication de la loi. A cette fin, il prévoit la création de la Caisse nationale de retraite universelle dès le 1er décembre 2020 afin de piloter les chantiers (campagnes de fiabilisation des carrières, projets informatiques, réorganisation du réseau etc.) contenus dans le schéma de transformation qui sera élaboré après la publication de la loi.
Le présent article confie également à la Caisse nationale de retraite universelle une mission de veille vis-à-vis des régimes (en matière de gestion et de pilotage). En cas de décisions pouvant fragiliser la mise en place du système universel, le directeur général disposerait d’un pouvoir d’alerte de la tutelle, celle-ci disposant alors d’un pouvoir d’opposition. De même, le directeur général de l’établissement pourrait alerter la tutelle en cas de décisions non conforme au schéma de transformation.
En complément, le présent article prévoit la mise en place d’un comité de surveillance placé auprès de la tutelle et chargé spécifiquement de surveiller la mise en œuvre du schéma de transformation, sur le modèle du comité de surveillance mis en place dans le cadre de la réforme du RSI.
Pour mener à bien ses missions, la Caisse nationale de retraite universelle pourra bénéficier du concours de moyens et de fonctionnement d’agents mis à disposition par les régimes et recruter du personnel en propre pour mener à bien ses missions. Elle recevra également une dotation attribuée par la CNAV, l’AGIRC-ARRCO et les autres organismes chargés de la gestion d’un régime de retraite légalement obligatoire. »
A la lecture du deuxième paragraphe, vous noterez que le gouvernement ne peut plus cacher un des objectifs sur lequel il a été d’une grande discrétion : la captation des réserves des salariés du privé, qui s’élèvent aujourd’hui à 70 milliards €.
Et là pas de période de transition longue, douce ou progressive, main basse immédiate, et mise sous tutelle 25 ans avant que la « réforme » ne soit universelle.
Au-delà de la spoliation (le terme a été employé par M. ROUX DE BEZIEUX), il y a la défiance, puisque cet article 50 donne au directeur du futur EPA le rôle de veille afin que la tutelle (DSS ?) puisse casser une décision qui ne paraîtrait pas conforme aux souhaits du gouvernement.
C’est une insulte :
1- à l’encontre des négociateurs, représentants les organisations patronales comme salariales qui ont toujours su trouver des solutions pour pérenniser les, puis le, régime complémentaire qui intéresse plus de 30 millions d’assurés, actifs et retraités.
2- à l’encontre de dizaines d’administrateurs de l’ARRCO et de l’AGIRC qui, en 70 ans, ont toujours eu à l’esprit, signataires ou pas des accords nationaux interprofessionnels, l’intérêt des participants et des adhérents de ces régimes.
Les dernières projections faites par la fédération AGIRC ARRCO montrent, qu’au plus bas, les réserves « tomberaient » à 39% entre 2040 et 2045 selon les scénarios retenus.
Enfin le dernier paragraphe de cet article 50 stipule que non content d’être mis sous tutelle, les régimes actuels devront financer le tuteur. Ça ne vous rappelle rien ?
L’assurance chômage, création paritaire s’il en est : c’est à ce moment que le mot paritarisme est inventé par André BERGERON, est devenue Pôle Emploi.
Et la structure de Pôle Emploi est un EPA qui est alimenté par un pourcentage des recettes des cotisations chômage…
Si on pouvait imaginer un nom tel que « France Retraite », il faudrait plutôt s’orienter vers « Pôle Retraite ».
Last but not least, dans ce projet de déstructuration totale, en contradiction absolue avec les déclarations qui osent se revendiquer des ordonnances de 1945, il n’y aura plus d’organisme local (régional) de plein exercice puisqu’il est stipulé que les établissements n’auront pas la personnalité juridique.
Comme indiqué en propos liminaires, on pourrait penser qu’il s’agit « juste » d’un sujet administrateurs et agents de direction.
Ce serait méconnaître la réalité de terrain des CARSAT, qui dotées de la personnalité juridique, contractent, pour le plus grand bien de leurs pensionnés, avec des associations, des institutions paritaires, des mutuelles, mais aussi et surtout avec des collectivités locales !
Demain, une commune rurale ou une métropole devra « monter » le dossier et attendre la décision nationale ? C’est ça la proximité et l’autonomie de décisions locales ?
Philippe Pihet, Conseiller retraites de la Confédération