Le 2 décembre 2019, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a organisé un colloque « genré » autour de la question des inégalités dont sont victimes les femmes en France en matière de retraite. Le COR a l’habitude de traiter de la question des femmes dans ses dossiers mensuels (il est d’ailleurs chargé d’une mission spécifique de suivi de la situation comparée des femmes et des hommes).

 Des inégalités genrées accrues : le rôle du « choc de parentalité »

Les femmes participent de plus en plus au marché du travail et les écarts de rémunérations entre hommes et femmes se réduisent, pourtant les pensions féminines demeurent inférieures. D’après les études réalisées par le COR, les femmes souffrent d’une moindre durée d’assurance qui correspond en moyenne à 4 ans en leur défaveur par rapport aux hommes, ce qui se répercute sur leur niveau de pension.

Alors qu’en début de carrière le taux d’activité est proche, il s’en écarte au fil de la carrière. Le principal facteur explicatif réside dans l’approche de la parentalité. En effet, la France cultive la reproduction d’un schéma patriarcal dans lequel c’est la femme qui est la plus compétente pour s’occuper des enfants. D’après les sondages (voir en ce sens la publication de l’INSEE Rôles sociaux des femmes et des hommes – L’idée persistante d’une vocation maternelle des femmes malgré le déclin de l’adhésion aux stéréotypes de genre), cette « croyance » demeure très présente y compris chez les femmes et en France, ce stéréotype renforce les comportements.

Dès lors, et c’est un constat également présent dans l’étude pour l’OCDE de KLEVEN, LANDAIS et SOGAARD sur la situation au Danemark sur la période de 1980 à 2012, il apparait que la parentalité impacte davantage la carrière des femmes. Dès le premier enfant, le « choc de maternité » entraine un retrait du marché du travail, plus ou moins long, de la part des mères et une diminution du volume horaire qui conduit à une chute du revenu salarial.

Ce constat doit interroger : le modèle social doit-il prendre en compte les normes sociales et construire des mesures de solidarité ou intervenir pour déconstruire les normes sociales ?

Solidarité et redistribution : Des réponses inadaptées portées par le Haut-Commissaire et le Gouvernement

Tout le monde s’accorde à dire que les femmes subissent des chocs de carrière spécifiques à leur genre.

Leur « neutralisation » passe notamment par des dispositifs de solidarité. Les femmes bénéficient davantage que les hommes des dispositifs explicites de solidarité (au titre de la maternité : majorations de pension, majoration de durée d’assurance…). Cela renvoie au lien entre les contributions et les droits, et elle peut se mesurer par le lien de proportionnalité entre les pensions perçues et les cotisations versées.

En matière de réduction des inégalités, la réversion tient une place centrale qui renvoie, là encore, à une vision patriarcale. En effet, la justification historique de la réversion était de compenser les inégalités de ressources à la retraite trouvant leur origine dans la division des rôles sociaux au sein du couple. Le Code civil matérialise cette vision en instituant un devoir de secours et d’assistance entre époux.

Or, les parcours conjugaux ont évolué : les mariages sont tout à la fois plus instables (divorces) et tardifs. Cette tardiveté s’explique notamment par le fait que la réversion est réservée aux personnes qui sont mariées (ou l’ont été), ce qui permet aux retraitées veuves d’avoir un niveau de vie légèrement supérieur aux divorcées et aux célibataires.

Le Haut-Commissaire, M. DELEVOYE, souhaite garantir le niveau de vie du conjoint survivant en lui attribuant 70% des droits à retraite du couple. Ce faisant, il apporte une réponse inadaptée :

  • D’abord, ce n’est plus tant une réversion qu’une assurance veuvage viagère aux âges élevés qu’il souhaite instituer
  • Ensuite, il avantage les couples mariés aux dépens des autres formes de couples (le PACS notamment).
  • En outre, il ne répond pas aux revendications visant à uniformiser les conditions d’éligibilité et de calcul des pensions de réversion ! Rappelons-le, selon les régimes, les conditions d’attribution et les modalités de calcul diffèrent, notamment entre le régime général et l’AGIRC ARRCO. Par exemple, le remariage du survivant ne fait pas obstacle au maintien du droit au titre du régime général, mais le supprime à l’AGIRC ARRCO ;
  • Enfin, il ne répond pas au problème de compensation des inégalités genrées.

En tout état de cause, le niveau de retraite, des femmes comme des hommes, ne doit pas dépendre de décisions arbitraires émanant du politique. Peut-être faudra-t-il faire un arbitrage entre réduire les inégalités sans distinction de genre et cibler les inégalités genrées, mais c’est surtout une politique publique de consensus sur le long terme qu’il faut faire émerger !

Pour autant, il ne faut jamais oublier que le système de retraite ne peut corriger toutes les injustices subies (aux femmes comme aux hommes) au cours de la carrière, ce n’est pas son objet social.

 Chafik EL AOUGRI, Secrétaire national du SNFOCOS