Les quelques 150 000 salariés des organismes de Sécurité sociale (IDCC 2182603 et 3232) sont couverts par un régime conventionnel de frais de santé associé à une mutualisation, sous la forme d’une recommandation d’Aésio Mutuelle, de l’AG2R et de Malakoff Humanis, qui prend fin au 1er janvier 2027.

Ayant entamé une réflexion relative aux modalités du renouvellement de cette mutualisation, la Sécurité sociale est tentée par la méthode forte pour le choix de ses futurs partenaires.

Des structures de mutualisation globalement reconduites

C’est au milieu du mois d’avril que les représentants des employeurs et des salariés des organismes de Sécurité sociale se sont retrouvés pour une réunion paritaire consacrée à l’enjeu de la complémentaire santé. Il a été question, à cette occasion, d’esquisser les principales modalités du renouvellement à venir de la mutualisation frais de santé associée aux CCN du secteur. Abordant la discussion, l’UCANSS, représentant les employeurs, aurait tenu à rassurer les représentants des personnels, en faisant état de sa volonté de reconduire les principales structures de cette mutualisation. Elle devrait continuer de reposer sur deux régimes, l’un destiné aux actifs et l’autre aux anciens actifs, liés par un système de solidarité. Outre ceci, les régimes continueraient d’être gérés par les partenaires sociaux, dans le cadre d’une commission paritaire spécifiquement constituée autour de cet enjeu.

 L’enjeu du choix des assureurs

Ces éléments de continuité ne signifiaient pourtant pas que les employeurs de la Sécurité sociale n’entendaient pas procéder à certaines évolutions notables de l’organisation de sa mutualisation frais de santé. En particulier, il apparaît que, de leur point de vue, les modalités de sélection des assureurs partenaires des régimes doivent évoluer. L’UCANSS aurait évoqué la possibilité de mettre fin à la logique qui préside à cette sélection depuis la mise en place des régimes conventionnels en 2008, et dans le cadre de laquelle les organisations syndicales jouent un rôle actif dans le processus. Contre ce système, la représentation patronale pourrait, comme ceci prévaut dans la fonction publique, prendre seule la main sur la sélection des assureurs santé des organismes.

C’est ce qu’explique le SNFOCOS, le syndicat FO des organismes de Sécurité sociale, organisation la plus représentative du personnel. “L’UCANSS a pris l’initiative d’écrire à la Direction des Affaires Juridiques de Bercy pour “sécuriser” la procédure de renouvellement des assureurs, initiative dont il est résulté la nécessité de désormais se soumettre au Code de la Commande Publique, avec pour effet collatéral une exclusion significative des organisations syndicales du processus décisionnel” rapporte en l’occurrence l’organisation syndicale. Aux représentants des salariés, l’UCANSS aurait ainsi proposé d’opérer une “évaluation approfondie et une consolidation des impacts ainsi que des mises en conformité requises au regard des exigences posées par une procédure de marché public sur certaines dispositions de l’accord du 12 aout 2008 instituant le régime de complémentaire santé et sur certains paramètres du régime”.

Des syndicats très critiques

C’est peu dire que ce projet d’évolution de la gouvernance générale de la mutualisation frais de santé de la Sécurité sociale a fortement déplu aux représentants des personnels. D’une part parce que l’UCANSS aurait pris seule l’initiative de s’adresser à Bercy et n’en aurait pas informé les syndicats. Ces derniers auraient dû lourdement insister afin d’obtenir une copie du courrier envoyé par les employeurs au ministère de l’Economie. Cet unilatéralisme tranche clairement avec les modalités habituelles, relativement concertées, de gestion et de pilotage des régimes santé de la Sécurité sociale.

Commentant cette affaire, le SNFOCOS ne décolère pas. Insistant sur le fait que les personnels de la Sécurité sociale sont couverts par des conventions collectives et contrats de droit privé, l’organisation syndicale refuse que les modalités non négociées de sélection des assureurs de protection sociale complémentaire en vigueur dans la fonction publique soient importées à la Sécurité sociale. “Depuis de trop nombreuses décennies, le personnel de la Sécu a toujours été classé par la haute fonction publique au mauvais endroit : si le côté public coûte moins, nous sommes dans le public, si c’est le contraire, nous sommes de droit privé” dénonce le SNFOCOS, qui insiste pourtant : “Ledit personnel est régi par trois conventions collectives, instrument juridique de droit privé s’il en est… sauf révisionnisme opportun des fonctionnaires”. “Qui peut citer une branche de droit privée qui refuse le droit de négocier ?” tonne par conséquent le syndicat. Il enfonce le clou en rappelant que, finançant pour partie le régime, les salariés doivent pouvoir avoir leur mot à dire à toutes les étapes de la gestion de la mutualisation.

Un débat aux conséquences potentiellement lourdes pour la Sécurité sociale

Partant de là, la première organisation syndicale de la Sécurité sociale affirme qu’elle ne compte pas laisser le collège salariés perdre ses prérogatives actuelles en matière de participation au processus de sélection des assureurs de la mutualisation santé. “Le SNFOCOS, à l’origine de la création des deux contrats de complémentaire santé, continuera de défendre les fondamentaux des régimes et le paritarisme pour que le personnel, qui finance notablement les régimes, puisse continuer d’avoir son droit de regard sur la gestion mais aussi sur le choix des opérateurs” insiste l’organisation. Elle affirme que, si nécessaire, elle empruntera la voie judiciaire afin de faire entendre ses arguments.

S’il est possible que l’UCANSS en vienne, du fait des réactions syndicales, à revoir sa copie, il n’en demeure pas moins qu’en l’état, ceci est loin d’être évident. D’une part parce qu’elle ne verrait pas nécessairement d’un mauvais œil un renforcement de ses prérogatives dans ce domaine.

Surtout, à en croire une source interne à la branche, Bercy pousserait afin de voir la Sécurité sociale appliquer le même mode de fonctionnement que l’administration : “Bercy veut mettre la main sur l’agenda et les procédures”. Or, même dans l’hypothèse où ils le souhaiteraient, les employeurs de la Sécurité sociale ne se trouveraient pas nécessairement dans une position idéale pour obtenir de Bercy une pérennisation du mode de fonctionnement actuel de la gouvernance de la mutualisation santé de la Sécurité sociale.

Les développements de cette affaire sont à suivre de près, car ils pourraient donner une indication de ce en quoi consiste, aujourd’hui, l’autonomie juridique de la Sécurité sociale. Portant jusqu’alors sur les processus décisionnels des régimes qu’elle gère au profit des assurés sociaux, l’étatisation de la Sécurité sociale pourrait bien être à l’aube d’une nouvelle étape – décisive.

Source : La Sécurité sociale tentée par la méthode forte pour son choix d’assureurs santé – Tripalio

Mickaël Ciccotelli

18 avril 2025