Le SNFOCOS a reçu la lettre d’un médecin conseil (ne faisant pas partie de ses adhérents).
Monsieur le Directeur, je vous adresse le plaidoyer d’un médecin conseil responsable d’un ELSM. J’espère que vous entendrez cet appel, qui ne fait que confirmer ce que le SNFOCOS ne cesse de dire dans les instances nationales.
Alain Gautron, Secrétaire National du SNFOCOS
CONTRÔLE DES ARRÊTS DE TRAVAIL PAR LE SERVICE MÉDICAL
1 – Le thermomètre, la température et la fièvre.
2015-2016 : Un bon raisonnement
La nouvelle stratégie de contrôle des IJ (Indemnités Journalières) est lancée par une lettre réseau de la DDO (Direction Déléguée aux Opérations) de 2015, avec un postulat de morale professionnelle : « Un assuré ne peut pas dépasser 6 mois d’indemnisation sans avoir été contrôlé par le Service médical, sur pièces ou sur personne, c’est à dire avec un avis signé dans Hippocrate 1er objectif : 95% des arrêts maladie arrivant à 6 mois doivent avoir fait l’objet d’un avis Hippocrate 2ème objectif : 40% de ces arrêts doivent avoir été contrôlés sur personne.
Les médecins conseils s’inquiètent. Ils ont à cœur de convoquer le plus souvent possible pour une décision modificative : ADM (Avis Défavorable Médical) ou stabilisation, et ils savent d’expérience qu’ils ne font pas 40% d’ADM avant 6 mois. On les rassure : sur 40% d’avis sur personne, les 20 à 25% d’AF (Avis Favorable) doivent être assortis d’une pédagogie de la PDP (Prévention de la Désinsertion Professionnelle) (contact avec le médecin du travail par une visite de pré-reprise, contact avec le Service social, saisine de la cellule départementale de PDP), pédagogie propre à mettre l’assuré malade dans la perspective de la sortie de son arrêt.
2016-2017 : Le grand dérapage
L’objectif a été souvent atteint en France.
Las ! En 2016, la CNAMTS sort de l’objectif de contrôle sur personne les arrêts maladie en lien avec une ETM (Exonération du Ticket Modérateur) et, en échange, porte ce dernier à 80%. Prodigieuse sottise : un diabétique en ETM sans aucune déficience fonctionnelle pourra dépasser 6 mois d’arrêt sans être examiné par un médecin conseil, mais une victime de fracture complexe du genou nécessitant 7 à 10 mois d’arrêt sera convoquée, et avec elle les dépressifs sévères, et tous les patients dont la consommation de soins révèle une gravité et une évolutivité certaines, là où un AF sur pièces s’imposait. L’objectif, cette fois, est médicalement infondé et conduit à piéger le médecin conseil dans une activité qui dilapide son expertise. Sans doute les progrès du thermomètre (requêtes, algorithmes) déclenchent une ivresse qui va trop vite de l’indicateur à l’objectif (de la température à la fièvre). On ne voit que cela pour comprendre comment une telle sottise assortie de brutalité a pu accoucher d’une commande non négociée, non partagée, non réfléchie.
2017-2018 : Il faut savoir aller au bout de ses erreurs
L’objectif n’est atteint nulle part en France et 80 départements restent sous le socle.
Las ! On diminue la quantité des objectifs de moyens et, en échange, on porte à 85% d’avis sur personne l’objectif de contrôle des arrêts arrivant à 6 mois, AT-MP et maladie toujours hors ETM. Il faut donc convoquer tous les arrêts entre zéro et 6 mois sauf les cartes vitales avec ETM même si leurs détenteurs ne consomment aucun soin.
Il faut noter la contradiction, depuis 2015, entre l’objectif sur les montants (le seul respectable) et l’objectif de contrôle sur personne avant 6 mois : Chaque ADM entre zéro et 6 mois nourrit le premier mais pénalise le second puisqu’il sort de son dénominateur. Le médecin conseil est ainsi encouragé à convoquer un arrêt dont l’examen sur pièces fait penser qu’il va dépasser 6 mois ! Comment peut-on 3 ans de suite poursuivre dans l’erreur avec une telle constance ? Un indicateur, c’est intéressant ou pas, on le regarde, on le prend ou on le laisse. Mais un objectif, ça porte une stratégie. Avant même d’être atteignable, il doit être pertinent, il doit avoir un sens, il ne peut être en contradiction avec le métier-même de ceux à qui on le fixe. Il faut imaginer l’effet sur les effectifs du Service médical. Agents et médecins conseils du cpr2a (contrôle sur prestations des assurés) comprennent parfaitement ce qui se passe et leur silence, terrible est à l’aune d’une attractivité du métier qui fond comme neige au soleil.
2 – La hiérarchie du Service Médical
Que pensent les médecins chefs ? Que disent les MCR (Médecins Conseils Régionaux) ?
Quand une remarque est faite, la DDO recadre, sèchement. Comment cela se peut-il ? Pourquoi l’objectif IJ n’est-il pas limité aux montants avec liberté aux DRSM de se donner les moyens de l’atteindre ? Pourquoi cette obsession du volume de convocations, de la maîtrise des critères (puisque désormais, par la requête unique hebdomadaire, c’est la CNAMTS qui convoque pour tous les médecins conseils du territoire national) ? Comment en est-on arrivé là ?
Il paraît que la DDO ne fait pas, n’a jamais fait confiance au Service médical. Il paraît que la seule façon de sauver sa peau, de retarder sa chute, le Service médical ne peut la trouver que dans la démonstration d’un volume élevé de convocations sur personne. Il paraît que les niveaux B, C et D sont de mauvais managers, qu’ils ne sont pas passés par l’EN3S, qu’ils ne doivent leurs postes qu’à leur diplôme et à l’Histoire.
Sauf que depuis que la DDO pilote le Service médical à la cravache, les résultats s’aggravent au lieu de s’améliorer.
3 – La Cnam schizophrène ?
La réflexion puis la mise en place du SMMOP (Service Médical Management Organisation Performance) augure d’une évolution fort positive avec l’expérimentation du PPA, la nouvelle posture d’égal à égal du MC face au prescripteur, et la perspective d’une GDR (Gestion Du Risque) partagée des prestations (IJ, transports, iatrogénie) entre les contrôleurs (qui contrôleraient moins les assurés) et les prescripteurs.
Comment, en 2018, cette démarche de GDR partagée avec les prescripteurs, pourra-t-elle cohabiter avec la lettre de mission des DRSM sur le contrôle sur personne des arrêts de travail ?
Autant lancer à un chien le bout de bois qu’il est fou de joie d’aller chercher…sans défaire la laisse de son cou !..
Les directions de la CNAMTS communiquent-elles entre elles ? Qui fait la synthèse des commandes au réseau médical pour éviter les contresens, les paradoxes ? Sur quelles bases le DG arbitre-t-il ?
4 – Propositions
Il faut un changement radical de vision du Service médical par la DDO.
- Faire table rase des a priori sur les praticiens conseils, qui sont d’un autre temps.
- Traiter un DRSM comme un Directeur de CPAM. Pas comme un adolescent savant mais attardé.
- Fixer des objectifs de résultats, négociés.
- Oser renoncer aux objectifs de moyens infantilisants, c’est à dire traiter les DRSM en adultes, à qui on donne cette confiance sans laquelle aucune dynamique n’est possible.
- S’engager résolument, avec le SMMOP, dans la voie de la GDR partagée des IJ avec les prescripteurs, en les formant à la prescription de l’arrêt de travail médicalement justifié.
- Concentrer les ressources médicales de l’Assurance maladie sur les économies potentielles fortes (RCT, contentieux technique, pertinence des actes, médicaments) au lieu de les épuiser inutilement sur les pauvres 100 millions annuels d’économie du poste IJ.
Conclusion
En 2018, les maisons de santé pluri-professionnelles prennent le chemin qui va sauver la médecine de premier recours, donc le système de santé français. Elles attirent enfin les jeunes générations. Par ailleurs, les médecins du travail sont désormais mieux payés. La pénurie de médecins conseils n’est plus explicable par la pénurie de médecins. C’est la CNAMTS qui assèche le terrain. Il faudra toujours des médecins conseils, experts ordinaires des caisses. Les DRSM, en revanche, ne sont pas une nécessité. Si on veut les garder, il faut leur faire confiance et les traiter en adultes. Si on veut s’en débarrasser, il faut désormais le faire vite. Avant que le pilotage désastreux du réseau médical à l’oeuvre depuis plusieurs années ne les vide complètement de leurs praticiens conseils.