Dimanche 22 mars 2020, le Parlement a adopté la loi d’urgence sanitaire.

Objectifs affichés : faire face à l’épidémie de COVID-19 en autorisant le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnances, des mesures dérogeant au code du travail afin d’aider les entreprises et les salariés à traverser la crise. Les ordonnances ont été adoptées à l’occasion du Conseil des Ministres mercredi 25 mars 2020.

Ce qui est acté c’est qu’il s’agit de permettre aux employeurs de disposer plus librement de leurs salariés.

En effet, le texte initial prévoyait de permettre à l’employeur d’imposer (ou modifier) unilatéralement au salarié de prendre des congés payés, des jours de RTT et des jours de repos affectés sur le CET en dérogeant aux délais de prévenance (1 mois) et aux modalités de prise applicables.

Toutefois, il convient de préciser que la loi adoptée et l’ordonnance sont un peu plus protectrices des droits des salariés que ce que souhaitait initialement le Gouvernement. En effet, si l’employeur pourra toujours s’affranchir des délais dits de « prévenance » pour informer les personnes concernées, cette faculté est encadrée :

  • Il aura finalement la faculté d’imposer « la prise de congés payés acquis par un salarié, y compris avant l’ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris », dans la limite de 6 jours de congés. D’après l’ordonnance du 25 mars, il sera tenu de le dire au moins un jour franc à l’avance.
  • Heureusement, il ne pourra le faire que si un accord d’entreprise ou de branche l’y autorise, ce qui n’était pas prévu au départ. L’exécutif a, en effet, accepté d’ajouter cette condition en présentant un amendement lors des débats à l’Assemblée nationale.

Toutefois, l’ordonnance prévoit des dispositions qui ne sauraient être admises :

  • l’accord d’entreprise ou de branche pourrait autoriser l’employeur à modifier unilatéralement les dates de prise de congés payés
  • l’accord pourrait autoriser l’employeur à fractionner les congés sans être tenu de recueillir l’accord du salarié
  • l’accord pourrait autoriser l’employeur à fixer les dates des congés sans être tenu d’accorder un congé simultané à des conjoints ou des partenaires liés par un PACS travaillant dans son entreprise

 Pour le SNFOCOS, il est important que des règles homogènes s’appliquent aux personnels des organismes du régime général. Nous privilégions donc la négociation d’accords de branche pour éviter que localement, des dérives ne soient constatées. Par exemple, certaines directions décideraient de décompter du quota de congés payés les absences autorisées avec maintien de rémunération initialement accordées. C’est une des dérives envisageables puisque la loi permet de prendre des mesures rétroactives à effet du 12 mars 2020. Cette rétroactivité, dont le caractère constitutionnel est sujet à caution, est toutefois peu commentée dans les analyses et commentaires des mesures gouvernementales. Gageons que c’est parce qu’elle ne sera pas utilisée, notamment aux dépens des salariés du régime général !

Une ligne rouge parmi les lignes rouges : la conciliation vie professionnelle / vie personnelle ne doit pas subir d’atteinte, notamment il ne faudra pas faire entrave à la possibilité pour les conjoints travaillant dans le même organisme de bénéficier d’un congé simultané (article L. 3141-14).

En tout état de cause, comme l’a souligné notre confédération : « Les congés payés sont un droit à congés repos. Ces derniers sont protégés par le droit communautaire, ces périodes doivent permettre aux salariés de se reposer et pratiquer des loisirs. Imposer des congés payés dans une période où le salarié n’est pas totalement libre de ses mouvements nous paraît contraire aux droits de l’Union européenne. Le droit de l’UE ne prévoit pour l’instant aucune exception à ce principe même en cas de crise sanitaire grave. »

Les RTT et jours de repos pourront être imposés

Si l’employeur ne pourra pas avoir la mainmise sur les congés, c’est une victoire à la Pyrrhus. En effet, elle ne vaut que pour les congés payés : les « dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié » pourront être imposées ou modifiées « unilatéralement » par l’employeur.

L’ordonnance du 25 mars 2020 précise que l’employeur peut, sous réserve de respecter un délai de prévenance d’au moins un jour franc :

  • « imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos au choix du salarié acquis par ce dernier » (article 2 de l’ordonnance)
  • « Décider de la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos prévus par une convention de forfait » (article 3 de l’ordonnance)
  • « modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos » (article 2), y compris ceux prévus par une convention de forfait (article 3)
  • « imposer que les droits affectés sur le compte épargne temps du salarié soient utilisés par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates » (article 4)

Ce pouvoir d’organisation de l’employeur est, heureusement, limité à 10 jours (article 5). Surtout, cette prérogative, pour être mise en œuvre, supposera selon l’ordonnance que « l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du COVID-19 ». La justification de cet intérêt pourrait susciter des contentieux, y compris au sein des organismes de sécurité sociale.

Quid des salariés qui, dans nos organismes, ont des contrats particuliers :

  • un contrat de travail à temps partiel défini dans le cadre de l’année ?
  • un système de modulation annuelle du temps de travail ?
  • une réduction du temps de travail sous forme de jours de repos ?
  • la fixation d’un forfait annuel de jours de travail sur l’année ?

Pour le SNFOCOS, il ne faut pas que les employeurs locaux puissent abuser de pareille prérogative pour remettre en cause les contrats de travail de salariés dont l’investissement, déjà exemplaire en temps normal, est exacerbé et s’exerce dans des conditions difficiles en cette période de crise sanitaire.

Durée du travail, repos : des modifications à craindre ?

L’employeur pourra déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical, dans les « entreprises particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». Les organismes de sécurité sociale ne sont pas nommément cités par les commentateurs des textes. L’ordonnance renvoyant à un décret (non paru à ce jour), il n’est pas certain qu’ils soient épargnés.

En effet, compte tenu des discours des Caisses nationales et des employeurs locaux depuis le début de la crise, il est à craindre que des organismes décident d’imposer le travail le samedi, par exemple pour éviter la saturation des réseaux (notamment en cas de pics de dossiers ou de retard de traitement des dossiers en cours). Les directeurs de caisses nationales ont d’ailleurs reconnu avoir étendu les plages techniques d’accès aux réseaux informatiques, y compris sur le samedi et déjà certains organismes ont recours au travail le samedi, sur la base du volontariat (éventuellement en ayant recours aux heures supplémentaires).

Le SNFOCOS relaie ici les craintes de notre confédération : « A tout le moins devrait être indiquée une limite à cette dérogation de droit, en heure et durée, pouvant être dépassée éventuellement si accord de l’administration et faire en sorte que le repos compensateur soit accordé immédiatement après la période de travail dans un souci de préservation de la santé et sécurité des salariés. FO met en garde contre le risque d’ajouter des dangers sur la santé et la sécurité au travail du fait d’intensités et durée du travail plus longues« .

La continuité des missions est importante, la santé (physique et psychologique) des salariés n’en doit pas moins être au cœur des préoccupations communes.

Le SNFOCOS exige la tenue de négociations nationales en vue d’aboutir à un accord de branche garantissant un traitement homogène, notamment en matière de congés, d’indemnités et d’accessoires du salaire.

A l’instar de la déclaration du Président de la République au profit des personnels soignants et des fonctionnaires mobilisés, le SNFOCOS exige que les Caisses nationales et l’UCANSS apportent une réponse claire, forte et dans la durée aux personnels du régime général mobilisés pour assurer la continuité des missions de la Sécurité sociale.

 Chafik El Aougri, Secrétaire national en charge de la branche Maladie