Les pays nordiques et l’Allemagne distancent la France sur la qualité du travail selon un rapport gouvernemental
Le diagnostic est sans appel. Dans un rapport publié discrètement le 15 septembre dernier, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dresse un constat alarmant sur la situation française en matière de qualité du travail et d’emploi. Cette étude comparative, commandée par le ministère du Travail dans le contexte des négociations sociales en cours, révèle un retard structurel de la France par rapport à ses voisins européens, particulièrement les pays nordiques et l’Allemagne.
L’enquête, menée auprès de treize pays européens sur des thématiques aussi cruciales que la prévention des risques psychosociaux (RPS), le soutien aux aidants ou la lutte contre les freins à l’emploi, pointe du doigt les faiblesses chroniques du système français. Contrairement aux modèles intégrés observés outre-Rhin et dans les pays scandinaves, la France souffre de dispositifs trop éclatés malgré l’existence d’outils similaires à ceux de ses partenaires.
Un système hiérarchique vertical qui bride les entreprises
Au cœur des dysfonctionnements identifiés : l’organisation hiérarchique verticale qui caractérise les entreprises françaises. Les inspecteurs de l’IGAS pointent des structures plus rigides et plus pyramidales qu’ailleurs en Europe, où la reconnaissance du travail demeure insuffisante et la formation des dirigeants trop académique.
Cette organisation traditionnelle, héritée des principes tayloriens du début du XXe siècle, concentre le pouvoir décisionnel au sommet de la hiérarchie. Les dirigeants prennent les décisions stratégiques, les cadres intermédiaires les transmettent et coordonnent leur mise en œuvre, tandis que les employés opérationnels se contentent de les exécuter sans participation réelle.
Cette structure génère des indicateurs dégradés : taux d’absentéisme élevé, sentiment de perte de sens au travail et faible engagement des salariés. Les principes d’un management de qualité sont pourtant très convergents selon les auteurs du rapport, qui identifient trois piliers essentiels : un fort degré de participation des travailleurs, une autonomie soutenue par la hiérarchie et la reconnaissance du travail accompli. Des critères sur lesquels le système français accuse un retard significatif par rapport à l’Allemagne, l’Irlande, la Suède ou l’Italie.
La France championne européenne des maux du travail
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La France détient le triste record du coût annuel des dépressions liées aux RPS le plus élevé rapporté à 100 000 salariés en Europe. Trois facteurs de risque y sont particulièrement marqués : la pression au travail, le déséquilibre entre efforts et récompenses, et le harcèlement moral.
Cette situation génère des coûts considérables.
Une récente étude européenne élaborée par l’Inserm et l’École des sciences de gestion de Montréal évalue à 115 milliards d’euros par an le coût cumulé des atteintes à la santé des travailleurs liées aux RPS en Europe. Un montant astronomique qui inclut près de 100 milliards d’euros liés aux maladies psychiques et 15 milliards pour les pathologies cardiaques.
Les entreprises françaises maintiennent des pratiques managériales plus directives, plus verticales, impliquant moins les salariés et leur conférant moins d’autonomie. Cette approche top-down empêche le développement des compétences décisionnelles chez les employés, qui restent de simples exécutants sans possibilité d’évolution vers des responsabilités.
Les modèles nordiques et allemand : des organisations repensées
À l’inverse, les pays nordiques et l’Allemagne ont développé des approches intégrées qui forcent l’admiration. Le Danemark, la Suède et la Finlande se distinguent par des organisations de travail participatives où les employés disposent d’une réelle autonomie décisionnelle. Ces pays nordiques affichent la proportion la plus élevée d’organisations de travail participatives, devenues même la forme dominante.
L’Allemagne impressionne par son système des Jobcenters, qui combine efficacement volets social et professionnel dans une structure unique. Le pays dispose également de dispositifs innovants comme le BEM (Betriebliches Eingliederungsmanagement), qui impose un accompagnement pour tout arrêt de travail supérieur à six semaines, ou encore l’outil JobPsy pour l’évaluation en ligne du stress psychologique.
Ces systèmes intégrés contrastent avec la fragmentation française, où coexistent trois guichets distincts pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi (Pôle emploi, services départementaux, missions locales) sans coordination effective. Cette dispersion reflète une incapacité structurelle à décloisonner les approches sectorielles.
Des innovations européennes sources d’inspiration
Le rapport recense de nombreuses bonnes pratiques européennes dont le système français pourrait s’inspirer. En Belgique, les entreprises de plus de 50 salariés doivent obligatoirement nommer une « Personne de Confiance » pour traiter informellement les difficultés relationnelles.
La Finlande a intégré le remboursement de la psychothérapie de réadaptation par l’assurance maladie. La Grèce s’est dotée d’une application numérique pour évaluer les risques liés à la chaleur, devenant selon l’OIT le pays européen le plus avancé sur cette problématique.
Ces exemples illustrent la capacité d’autres pays européens à développer des approches préventives et coordonnées là où la France maintient des dispositifs cloisonnés. Même constat pour le soutien aux aidants : les pays nordiques ont su créer des politiques intersectorielles intégrant travail, formation et protection sociale, contrairement à l’approche fragmentée française.
Un impératif de transformation structurelle
Face à ce constat, l’IGAS formule des recommandations structurelles pour transformer le système français. Les inspecteurs préconisent un programme national d’innovation managériale sur le modèle allemand INQA, une refonte de la formation des dirigeants intégrant les risques psychosociaux, et un décloisonnement entre secteurs public et privé.
L’enjeu dépasse la seule question sociale. Ces dysfonctionnements pèsent sur la compétitivité française et alimentent les tensions sur le marché du travail. Avec un taux d’emploi inférieur à la moyenne européenne et des indicateurs de bien-être au travail dégradés, la France ne peut plus ignorer ces signaux d’alarme.
Le problème ne réside pas uniquement dans les pratiques individuelles, mais dans l’organisation même du système français, caractérisé par une culture hiérarchique profondément ancrée. Cette culture se nourrit d’une formation des élites « très académique et peu tournée vers la coopération », créant des « frontières entre les métiers » et empêchant le travail interdisciplinaire.
Le rapport de l’IGAS tombe à point nommé alors que s’ouvrent des négociations cruciales sur la qualité de vie au travail. Il révèle l’urgence d’une révolution organisationnelle inspirée des modèles européens les plus performants. Car derrière ces chiffres et ces comparaisons se cachent des millions de salariés français qui évoluent dans des systèmes bridant leur potentiel et leur épanouissement professionnel. L’heure n’est plus aux demi-mesures : c’est d’un véritable changement de paradigme organisationnel dont la France a besoin pour rattraper son retard et retrouver sa place parmi les références européennes en matière de qualité du travail.
Sources