
Une aspiration massive au maintien à domicile face au vieillissement démographique
L’étude N° 1348 de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), publiée le 16 septembre 2025, révèle un attachement très majoritaire des Français au maintien à domicile en cas de perte d’autonomie. Cette préférence, exprimée par 74% des 4 000 personnes interrogées dans le cadre du Baromètre d’opinion de la DREES, s’inscrit dans un contexte démographique préoccupant où près d’un Français sur trois sera âgé de plus de 60 ans d’ici à 2030.
Cette aspiration au maintien à domicile a considérablement progressé au cours des deux dernières décennies, passant de 53% en 2001 à 74% en 2023. L’enquête révèle que cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes adultes : 80% des 18-24 ans rejettent l’idée d’une institutionnalisation future, contre 69% pour les 65 ans ou plus.
Des disparités générationnelles et sociales dans les préférences
L’analyse sociologique de cette préférence révèle des clivages générationnels significatifs. Les personnes âgées et les plus aisées se montrent moins opposées à une future potentielle institutionnalisation, suggérant une approche plus pragmatique de la question. À l’inverse, les jeunes générations expriment un rejet quasi-unanime de cette perspective.
Les personnes se déclarant fortement limitées dans leurs activités depuis au moins six mois manifestent une opposition moindre à l’éventualité de résider en établissement spécialisé (66%), comparativement à l’ensemble de la population (74%). Cette nuance révèle que l’expérience concrète de la limitation fonctionnelle peut modifier les perceptions sur les modes de prise en charge.
Un plébiscite pour la prise en charge publique du financement
Concernant le financement de la perte d’autonomie, 69% des Français privilégient une prise en charge par les pouvoirs publics, marquant une évolution notable depuis 2014 où ils n’étaient que 64%. Cette préférence pour l’intervention publique s’avère particulièrement marquée parmi les ménages modestes (73%) et dans les communes rurales (75%).
L’étude révèle un gradient social net dans les opinions sur le financement : les personnes les plus modestes soutiennent massivement la prise en charge publique (73%), tandis que les plus aisées ne sont que 59% à partager cette position. Ces dernières se montrent plus favorables à une prise en charge via l’épargne personnelle ou l’assurance privée.
Des modalités de cotisation qui divisent
La question des modalités de financement révèle des préférences contrastées au sein de la population française. Dans l’hypothèse de la création d’une cotisation spécifique pour financer la prise en charge de la perte d’autonomie, 54% des Français optent pour une cotisation volontaire, tandis que 26% privilégient une cotisation obligatoire pour tous et 20% une cotisation obligatoire à partir d’un certain âge.
Les personnes les plus aisées se distinguent en soutenant davantage une cotisation obligatoire imposée à tous (32%), contre seulement 23% pour les moins aisées. Cette proportion augmente également avec l’âge et s’avère plus élevée en région parisienne (29%) qu’en milieu rural (22%).
L’évolution des attitudes vis-à-vis de l’universalité des aides
L’étude met en évidence une transformation significative des attitudes concernant le ciblage de l’aide financière. En 2023, 47% des Français se déclarent favorables à une aide universelle sans condition de ressources, contre seulement 23% en 2007. Cette évolution témoigne d’une préférence croissante pour une aide fondée sur les besoins plutôt que sur les moyens financiers.
Cette tendance varie selon l’âge : plus les répondants sont jeunes, plus ils privilégient l’aide universelle. Ainsi, 50% des 18-24 ans soutiennent cette approche, contre 44% pour les 65 ans ou plus. Les plus diplômés manifestent également une préférence marquée pour l’aide universelle, tandis que les personnes sans diplôme privilégient le ciblage en fonction des ressources.
Des stratégies familiales révélatrices des inégalités sociales
L’analyse des stratégies envisagées par les Français pour leurs proches révèle des disparités socio-économiques importantes. Seuls 19% déclarent qu’ils choisiraient une institution spécialisée pour un parent en perte d’autonomie. La majorité (44%) feraient plutôt en sorte de s’occuper de lui à son domicile, 21% seraient prêts à l’accueillir chez eux et 16% les soutiendraient financièrement pour qu’il bénéficie d’aides à domicile
Cette répartition révèle l’influence déterminante du niveau de vie sur les choix possibles. Les Français les moins aisés se montrent moins favorables au placement en institution(15%) et plus enclins à accueillir leur parent chez eux (27%). Cette différence pourrait s’expliquer par un coût d’hébergement en établissement jugé prohibitif par les ménages modestes.
L’influence du degré d’attachement à l’État
L’étude révèle que le degré d’attachement au rôle de l’État constitue un déterminant majeur des opinions sur le financement de la perte d’autonomie. Les personnes ayant de fortes attentes vis-à-vis de l’État soutiennent massivement la prise en charge publique (78% d’entre elles privilégient cette option), contre 59% pour celles ayant des attentes limitées.
Paradoxalement, les personnes fortement attachées au rôle de l’État privilégient néanmoins une cotisation volontaire pour financer la perte d’autonomie (62%), suggérant une distinction entre le principe de la prise en charge publique et les modalités concrètes de financement.
Des défis majeurs pour les politiques publiques
Cette étude intervient dans un contexte où le nombre de personnes âgées dépendantes bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) devrait passer de 1,4 à 1,6 million entre 2021 et 2030, soit une hausse de 15%. Cette projection souligne l’urgence d’adapter les politiques publiques aux aspirations exprimées par les citoyens.
L’aspiration massive au maintien à domicile pose des défis considérables en termes d’organisation des soins, de formation des professionnels et de financement. Elle interroge également la capacité du système sanitaire et médico-social à accompagner cette préférence tout en garantissant la qualité de la prise en charge et la préservation de la dignité des personnes concernées.
La récente loi du 8 avril 2024, portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie, témoigne de la prise de conscience des pouvoirs publics face à ces enjeux, en intégrant notamment des dispositions pour prévenir la perte d’autonomie, lutter contre l’isolement et faciliter l’intervention des aides à domicile.