adis on entrait à la Sécu par conviction, je me souviens de mon premier entretien avec le directeur de mon organisme qui m’accueillait dans « la grande maison » tout en m’expliquant fièrement qu’il aurait pu choisir la SNCF ou d’autres services publics et qu’il avait opté pour la Sécu, grande institution issue des idéaux de la résistance.
Il est vrai qu’à l’époque, il n’était pas rare de croiser un directeur (un peu paternaliste) issu des rangs et ayant commencé sa carrière comme fichiste. L’ascenseur social fonctionnait pleinement, la gestion des organismes était humaine, voire humaniste. Dans cette conception, le cadre avait toute sa place en autonomie et stratégie.
Depuis quelques années, un seul discours prime, « il faut dégraisser le mammouth ». Et c’est la loi de la rentabilité à outrance, la concentration verticale du pouvoir décisionnaire, le mythe des achats centralisés au niveau national, moins cher qu’un marché négocié localement. Ces réformes dans la gestion s’accompagnant de regroupements des organismes à marche forcée, du départemental au régional puis l’interrégional (pour les organismes de recouvrement). Ces modifications successives dans la chaîne de décisions n’ont qu’un but : établir une gestion centralisée, étatisée, par des hauts fonctionnaires, dont l’humain n’est pas la priorité.
Cette nouvelle organisation vide l’encadrement de sa substance, sous couvert d’unification des politiques, de l’harmonisation des bonnes pratiques au service des assurés bien évidemment, on construit un monde de petits robots où chaque individu, quelle que soit sa place dans cette chaîne de décisions, n’est qu’un maillon exécutant, privé de toute initiative et responsabilité. De plus, si on lui écrête des heures, c’est de sa faute, il ne sait pas organiser la charge de travail qu’on lui donne.
La confiance n’existe plus, c’est le règne du reporting pour le reporting.
De l’unité de la chaîne de décision au séquençage déshumanisé de l’ordre.
Cette perte de pouvoir et d’autonomie se double d’un désintérêt de la fonction et de la perspective de toute évolution professionnelle. C’est le règne de la double peine. Le cadre autrefois manager et stratégique n’est plus qu’un petit chef interdit de toute initiative qui pourrait venir contrarier le schéma centralisé national d’application de la décision. Les cadres doivent devenir des applicatifs sans états d’âme. D’une fonction enrichissante, le cadre avait avec son service la maitrise de tout un processus, il avait une vision globale du dossier, on passe avec la taylorisation (sous couvert de professionnalisation) à une parcellisation de l’action, sans aucune maîtrise de ce qui précède ou suit, la transversalité est devenue une chimère.
Quant à l’évolution de carrière, avec les diverses concentrations, le mécanisme est bloqué.
Si la cour des comptes reproche la mobilité des cadres, force est de constater que bien souvent lorsqu’un cadre postule, le poste est souvent déjà attribué ou alors on préfère embaucher un « jeune » extérieur, issu de grandes écoles, ceci rendant de plus en plus difficile le déroulement de carrière.
De plus, les contraintes budgétaires (RMPP) de par la raréfaction d’attribution des points de compétences rendent plus insoutenable la portion congrue d’évolutions de carrières. Si cette absence d’évolution est problématique pour les cadres administratifs, elle est un placard « a-doré » pour les cadres techniques, car inscrite dans la fonction avec un seul niveau. Il en est ainsi pour les contrôleurs du recouvrement, les DAM, les contrôleurs CAF entre autres.
Le bilan des différentes mutualisations est, pour le cadre, une perte de compétences, une absence d’évolution de carrière et une absence de reconnaissance pécuniaire.
Conscientes de ce désenchantement, les directions nationales essaient de mobiliser sur des thèmes annexes tels l’écologie au travail ou les groupes de réflexion de projet d’entreprise.
Ainsi selon les régions, on voit poindre des groupes de travail, l’implantation de ruches ou la mise à disposition de vélos électriques etc…
Mais le compte n’y est pas, la plupart des cadres ont perdu le goût du travail, ils essaient de sauver leur emploi.
Et pourtant, il ne faudrait pas grand-chose pour faire briller cette lumière qui vacille, simplement redonner un sens, une autonomie à la fonction.
De redonner le plaisir de travailler pour notre belle et noble institution : la Sécurité Sociale.
Jean-Philippe Bourel
Secrétaire National en charge de l’encadrement
Jean-Paul Charlemagne
Délégué Régional des Hauts de France