COURRIER DU MAIRE DE DIEPPE AU DIRECTEUR GENERAL DE L’ACOSS AU SUJET DE LA MENACE DE FERMETURE DU SITE URSSAF DE DIEPPE

A Dieppe, le 17 mai 2017

Monsieur le Directeur général,

Etonné et très en colère, j’ai pris connaissance il y a quelques jours du contenu d’un courrier que le Secrétaire général du Syndicat national Force ouvrière des cadres des organismes sociaux (SNFOCOS), M. Alain Gautron, relatif à une menace de fermeture du site URSSAF de Dieppe, a pris le soin de m’adresser. Etonné de ce qu’une décision de cette nature et de cette portée puisse être envisagée de manière aussi avancée sans que le maire de la ville, concernée au premier chef, en soit à aucun moment informé, ni consulté.

Il a donc fallu une alerte syndicale pour qu’une telle information soit diffusée au-delà du cercle de quelques initiés. Sur la forme, cette méthode va à l’encontre des usages républicains les plus évidents. C’est d’autant plus regrettable que l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) que vous dirigez n’a de raison d’être que sa mission au service de ce bien commun à tous les Français qu’est la branche générale de notre Sécurité sociale. Mais je veux croire qu’il s’agit là d’un oubli, dommageable, mais d’un oubli seulement. Je veux croire que la forme ne rejoint pas le fond, à savoir que l’on prétendrait régler en toute discrétion le sort de l’antenne locale d’un organisme en charge d’un service public éminent, sans concertation avec les interlocuteurs de ce service, à savoir l’ensemble des entreprises du territoire qui versent les cotisations salariales et employeurs, sans concertation non plus avec les représentants élus des habitants du territoire d’implantation de cet organisme qui produisent par leur travail, faut-il le rappeler, les richesses qui donnent lieu à cotisations sociales.

C’est, vu de Paris, loin de la réalité de notre territoire qu’une mesure de fermeture du site URSSAF de Dieppe a pu être ainsi imaginée. Une telle perspective méconnaît tout d’abord, sinon ignore totalement, la réalité quotidienne des 33 agents qui travaillent sur le site de Dieppe. Parmi ces salariés, beaucoup ont des enfants en bas âge et, dans l’hypothèse d’un regroupement de l’activité URSSAF sur Rouen, ville située à 60 kilomètres, se trouveraient contraints d’effectuer chaque jour deux heures de transport supplémentaires par la route ou par le rail. Il en découlerait pour eux des problèmes d’organisation de vie quotidienne, un surcoût pour leur pouvoir d’achat et pour l’URSSAF si ce surcoût leur était compensé enfin un surcoût collectif pour l’environnement (bilan carbone des déplacements générés). C’est la première raison pour laquelle l’hypothèse d’une fermeture d’un bureau URSSAF de Dieppe est totalement inacceptable.

Elle l’est également parce qu’elle conduirait à un éloignement significatif du service public des usagers. La dématérialisation, contrairement à une idée reçue, n’épuise pas le besoin de contact direct et donc de proximité dans les rapports entre agents en charge d’un service public comme c’est le cas de ceux de l’URSSAF avec leurs interlocuteurs sur le terrain. Cette dématérialisation des actes devient franchement inopérante dans les cas des difficultés économiques nombreuses qui peuvent affecter les entreprises et donc dans les cas de contentieux de recouvrement des cotisations sociales que peuvent faire générer ces difficultés.

La fragilité de notre tissu économique exige de ceux dont il est le terrain professionnel quotidien une connaissance fine des acteurs et des enjeux mais aussi des possibilités préservées de réactivité grâce à une implantation locale. Cette proximité est également une condition de l’acceptabilité sociale de notre système de cotisations déjà mis à mal depuis de nombreuses années par les discours ambiants sur les charges.

Si on éloigne les services de leurs utilisateurs, on fragilise encore davantage ce qui demeure du consensus républicain autour de notre système de protection sociale. Et cette fragilisation présente un coût très élevé pour notre société qui n’apparaît pas dans les tableaux et les rapports.

Vu de Paris, on ne voit pas que dans les régions, les villes moyennes et leurs réseaux livrent quotidiennement une bataille pour leur survie contre les phénomènes de déménagement du territoire qui s’amplifient année après année. Hôpitaux, tribunaux, services territorialisés de l’Etat, perceptions, bureaux de poste, offre de médecine de 1er recours, filières de formation supérieures … ferment, déménagent pour se regrouper dans les aires métropolitaines, dévitalisant progressivement les villes moyennes et bourg éloignés des métropoles qu’ils ont désertés et qui perdent en attractivité ce que les grandes métropoles récupèrent. On sait maintenant que cette mécanique se paie, scrutin électoral après scrutin électoral, par une extension du sentiment d’abandon et une extension en tâche d’huile du vote de colère.

C’est, de ce point de vue, une très lourde responsabilité pour l’avenir de notre société qu’engagent ceux qui prennent ces décisions de fermetures de sites de service public, il devient urgent et indispensable que dans leurs réflexions préalables, les données géographiques et humaines correspondant à la réalité vécue des territoires qu’ils engagent par leurs choix puissent enfin venir pondérer les certitudes de rapports officiels focalisés sur des coûts immédiats et visibles. Comme élu de terrain depuis de nombreuses années, écrivant cela, je père mes mots, croyez-moi bien : les décisions technocratiques ont des traductions très lourdes sur les territoires éloignés des centres de décision et ceux qui prennent ces décisions en ignorent les conséquences à moyen et long termes.

Je pourrais citer longuement en guise d’exemple le rapport IGAS de juin 2015 sur la politique immobilière des organismes de sécurité sociale où il est question de ratios et de chiffres concernant les locaux de travail de ces organismes, qu’ils soient sous le régime de la location ou de la propriété. Ce document éclaire le fond des mesures qui seraient envisagées pour le site URSSAF de Dieppe et pour d’autres aussi probablement, dénoncées à juste raison par les organisations syndicales. Se fonder sur les seuls critères énoncés dans ce rapport pour décider de déménager un site c’est commettre, croyez-moi, un contresens irréparable : on pensera faire l’économie de la gestion de quelques mètres carrés de bureau, on paiera en réalité les coûts humains, sociaux et politiques de salariés obligés demain à de longs déplacements (lesquels ont un coût non intégré dans les calculs initiaux), on paiera les coûts humains, sociaux et politiques d’une nouvelle entaille au consensus collectif indispensable à la pérennité de notre système de protection sociale.

Contre ces risques et leurs conséquences non calculées, je vous invite donc instamment à revenir sur la décision envisagée pour Dieppe et à ouvrir rapidement un véritable dialogue, une concertation avec tous les acteurs de ce territoire concernés par les présences des agents de l’URSSAF et le service dont ils ont la charge, indispensable au bien commun. Je saisis de cette demande le Président de la République en tant que garants de la cohésion sociale et puisqu’ils se disent à l’écoute des réalités du monde de l’entreprise, mais également l’ensemble des salariés du site URSSAF de Dieppe et leurs représentants syndicaux ainsi que les représentants des entreprises du territoire.

Dans l’attente, je vous prie de croire, Monsieur le directeur général, en l’assurance de mes salutations distinguées.

Sébastien Jumel
Maire de Dieppe
Conseiller régional de Normandie