(Article paru dans Fo-Cadres le 8 avril 2016)
Le 25 février 2016 le gouvernement soumettait son avant-projet de loi pour avis au Conseil d’Etat. Inspiré notamment des rapports Combrexelles, Mettling et Badinter, il contient une véritable philosophie de rupture pour deux raisons.
D’une part il rompt avec la traditionnelle hiérarchie des normes en accordant la primauté à l’accord d’entreprise, d’autre part, il met en place des dispositions qui auront pour effet de freiner le dialogue social plutôt que de l’encourager, comme le gouvernement veut nous l’amener à penser.
Ce texte – porté par la ministre Myriam El Khomri – a immédiatement suscité la réprobation citoyenne, étudiante et syndicale. Les mobilisations à son encontre ont été nombreuses et croissantes jusqu’au 31 mars, date qui a réuni partout en France 1,2 million de manifestants. En dépit d’une saisine rectificative et de réunions de concertations avec les organisations syndicales et étudiantes, ce texte continue de porter des menaces pour la justice sociale.
Initialement prévu pour simplifier le Code du travail afin de créer des emplois, le texte retenu bouleverse les principes fondamentaux du Droit Social.
Dans une logique qui n’a jamais été démontrée, la dynamique retenue était celle de faciliter la rupture du contrat de travail afin d’en favoriser la conclusion. Si la finalité revendiquée de lutte contre le chômage est louable, la voie qu’il emprunte pour y parvenir -à savoir de faciliter les licenciements pour que les protections des salariés ne constituent plus un frein à l’embauche- est des plus contestables.
Qui peut en effet croire que le renforcement de la flexibilité contenu dans cette réforme sera de nature à favoriser la création d’emplois stables et de qualité ? En effet, il est difficile, voire indéterminable, d’estimer le taux de chômage imputable ou non aux lois du travail. Aucun lien n’est aujourd’hui constaté dans les études entre le niveau des mesures protectrices de l’emploi et le chômage ou encore la productivité.
Pire encore, les plaidoyers pour des reformes structurelles visant un accroissement des flexibilités n’ont jamais cessé d’être défendus par les tenants d’une économie libérale. En 1994, l’OCDE défendait dans « ses perspectives de l’emploi » des réformes structurelles pour assouplir le droit du travail.
Dix ans plus tard, après que le niveau de protection se soit réduit dans de nombreux pays, la même institution relativisait l’impact de ces politiques sur la réduction structurelle du chômage. Elles ont été menées sans garanties quant à la création d’emplois stables et durables.
Depuis plus de trente ans, les économistes néo-keynésiens observent que les différentes réformes ayant conduit à renforcer la flexibilité de l’emploi ne se sont pas accompagnées d’une baisse du chômage. Ainsi, en France, en 1986 le taux de chômage était de 9%. Aujourd’hui il est de 10,3%.
La philosophie destructrice des protections sociales de ce projet de loi est particulièrement observable au regard des règles du licenciement qu’il instaurera. Les protections actuelles disparaitront. Les accords offensifs permettront de modifier le contrat de travail en matière de temps et de rémunération. Si le salarié refuse cette modification, il risquera de faire l’objet d’un licenciement pour motif personnel sui generis. De même, en cas de transfert d’entités, des licenciements pourront être faits avant ce transfert partiel lorsqu’il sera nécessaire à la « sauvegarde d’une partie des emplois ».
Il n’y aura plus de transfert des contrats avec le transfert d’entité. Enfin, les licenciements pour motif économique pourront être prononcés lorsque des indicateurs chiffrés (les commandes, le chiffre d’affaires) seront observés à la baisse dans l’entreprise.
De plus, les difficultés économiques ne seront plus appréciées à l’échelle du groupe, au-delà des frontières. Le périmètre sera restreint « au niveau du secteur d’activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel (l’entreprise) appartient. »
En conclusion, la facilité de licenciement et l’amoindrissement du dialogue social favoriseront la création d’emplois précaires qui concerneront en tout premier lieu les jeunes moins qualifiés et les séniors. Cela reviendra à créer des situations de chômage répétées pour une grande partie de la population. N’oublions pas que le volume du Code du travail est tout autant le produit de l’histoire sociale portée par des valeurs de progrès et de justice, que celui de la traduction législative d’exigences patronales en matière de dérogations et d’assouplissements.
Ne serait-il pas urgent de réfléchir à des mesures de relance de notre croissance économique, plutôt que d’amoindrir les protections sociales des salariés en même temps que le volume du Code ? Il n’est pas le principal obstacle à la création d’emplois. C’est pourquoi nous exigeons le retrait du texte et la mobilisation doit continuer !