Le discours politico-médiatique conduit à une surenchère sur la supposée fraude massive aux prestations sociales en stigmatisant les plus précaires (jeunes, bénéficiaires des minimas sociaux…). Renforcer le « contrôle social » pour chasser les soi-disant assistés sociaux et économiques participe à la réduction de la protection sociale.
La fraude aux prestations sociales détectée par les principaux organismes en 2019 représente 1 milliard d’euros de préjudices subis ou évités soit près de 324 millions pour la branche famille ; 287 millions pour la branche maladie (dont moins de 20% imputable aux assurés sociaux et 80% aux professionnels de santé, établissements, transporteurs sanitaires…) ; 212 millions pour l’assurance chômage, 160 millions pour la branche retraite.
En 2021 sur 35,6 millions de contrôle les CAF ont détecté 43 208 fraudes (soit 1% des contrôles) pour 309 millions d’euros. La CNAF estime la fraude à 2,3 milliards d’euros, soit 3,2% des prestations versées. Elle se concentre principalement sur le RSA, la prime d’activité et les aides aux logements. Pour la Cour des comptes l’évaluation est de 2,8 milliards d’euros dans sa fourchette haute.
Pour Force Ouvrière, tous les allocataires ne sont pas des fraudeurs en puissance. Ne pas se tromper de cible.
La fraude aux cotisations de sécurité sociale représente la part la plus importante de la fraude sociale. En 2021, l’URSSAF a engagé 36 734 actions de contrôle et redressé 789,4 millions d’euros de cotisations.
Cette fraude porte directement atteinte à notre modèle social en affectant les comptes de la Sécurité Sociale, ce qui prive les assurés sociaux de leur salaire différé et de leur droit à bénéficier des prestations.
Selon l’ACOSS ce sont entre 6,8 milliards d’euros et 8,4 milliards d’euros qui manquent aux caisses de Sécurité Sociale.
Dans la COG 2018-2022 l’ACOSS ambitionne de recouvrer 3,5 milliards sur 5 ans en s’appuyant sur le Big data et la généralisation de la DSN. Or, durant cette COG près de 480 équivalents temps pleins ont été supprimés. Les conditions de travail des inspecteurs se sont détériorées. Ils doivent aussi faire face aux changements incessants de législation et à la volonté des pouvoirs publics de faire de l’URSSAF l’acteur principal et unique du recouvrement social, sans moyens supplémentaires.
Pour Force Ouvrière la lutte contre la fraude aux cotisations est l’un des piliers essentiels de la préservation de notre modèle social. Au-delà de la mise en place d’outils pour améliorer les contrôles, seuls des moyens humains dument formés, dotés de systèmes d’informations adéquats seront en mesure d’apporter de réelles solutions à la branche recouvrement. FO revendique l’augmentation du nombre d’inspecteurs du recouvrement, l’augmentation des capacités d’accueil et la fin du « 100% dématérialisé » afin d’accompagner les cotisants dans leurs démarches et d’éviter les erreurs, la fin des politiques de coupes budgétaires de la branche recouvrement.
Le montant du non-recours aux allocations et aux minimas sociaux estimé à 10 milliards d’euros par an est supérieur à la fraude.
Les causes du non-recours aux prestations et minimas auxquels les plus modestes pourraient prétendre sont multiples (méconnaissance des droits, complexité, sentiment de stigmatisation…) Cette carence est d’autant plus inquiétante dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat des ménages.
Le manque de moyens des CAF pour suivre les dossiers et la politique du « 100% dématérialisé » ne permettent pas de lutter contre la pauvreté en évitant l’exclusion des allocataires potentiels les plus éloignés du numérique. 15 à 20% des allocataires seraient victimes d’illectronisme.
Pour Force Ouvrière, mettre les moyens matériels et financiers à la disposition des CAF afin d’accompagner les allocataires pour les rendre acteurs de leur avenir est d’importance capitale. FO revendique notamment la simplification des démarches, l’accélération de la prise en charge des allocataires en matière d’accompagnement social et professionnel, l’arrêt de la suppression d’emploi dans la branche famille.
Et la fraude fiscale…
Elle serait de 80 et 100 milliards d’euros selon une estimation syndicale. Les scandales d’évasion fiscale ou d’optimisation fiscale agressive se sont multipliés. Selon l’INSEE et la Cour des comptes la fraude à la TVA représenterait une quinzaine de milliards par an.
La lutte contre la fraude fiscale est une condition essentielle pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt. La France n’a pas mis en œuvre les moyens d’évaluation et de contrôle adaptés à l’ampleur du phénomène. Les résultats du contrôle fiscal ont connu une forte baisse sur les dernières années (-14% d’opérations de 2013 à 2019).
En 2020, la France a récupéré « seulement » 7,8 milliards d’euros grâce aux contrôles. Pourtant, ce sont 3 000 ou 4 000 emplois supprimés dans la sphère du contrôle fiscal en 20 ans alors même que la lutte contre la fraude fiscale apparaît comme une mission prioritaire dans le contrat d’objectifs et de moyens de la DGFIP.
Loin de banaliser l’existence de la fraude aux prestations, qu’il convient évidemment de juguler, la juste redistribution en faveur des ménages les plus précaires est davantage fragilisée par la fraude fiscale colossale et systémique.
Pour Force-Ouvrière, il n’y a pas de justice sociale sans justice fiscale.
Jocelyne Lavier d’Antonio, chargée de la Prévoyance Sociale au SNFOCOS