A la suite de l’accord national interprofessionnel de 2013 – non signé par Force Ouvrière – le Conseil constitutionnel avait écarté les clauses de désignation au nom de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle.

Alléguant une atteinte de ces libertés, le Conseil constitutionnel avait déclaré inconstitutionnel l’ancien article L.912-1 du code de la sécurité sociale qui autorisait les clauses de désignation relatives à la gestion de garanties collectives de prévoyance ou de complémentaire santé, dans les conditions collectives de branche.

A la suite de cette décision, l’article L.912-1 était modifié pour remplacer la « clause de désignation «  par une simple « clause de recommandation ».

La Confédération CGT-FO avait saisi le Comité européen des droits sociaux en invoquant l’atteinte portée par le droit français, du fait de cette jurisprudence constitutionnelle, aux traités et textes de l’Europe. FO allègue d’une violation de l’article 6§2 de la Charte sociale européenne révisée (« la Charte ») eu égard aux conditions posées par la législation française relative à la protection sociale complémentaire des salariés, en particulier l’article L912-1 du code de la sécurité sociale tel que modifié par la loi n°2013-1203 de financement de la sécurité sociale pour 2014 du 23 décembre 2013 et des décrets d’application, en ce qui concerne le choix d’un organisme assureur.

Sur la motivation de la décision rendue par le Comité en juillet 2018 :

Le Comité rappelle que l’objectif de l’article 6§2 est de promouvoir la négociation collective à la fois libre et volontaire, à laquelle participent des parties représentant des organisations libres et dûment informées.

Le Comité rappelle que le droit de négociation collective, garanti par l’article 6§2 de la Charte, n’est pas absolu et peut être limité, mais que tout restriction à ce droit ne peut être conforme à l’article 6§2 de la Charte que si elle remplit les conditions énoncées à l’article G de la Charte. Toute restriction doit ainsi (i) être prescrite par la loi ; (ii) poursuivre un but légitime, c-à-d. protéger les droit et libertés d’autrui, l’ordre public, la sécurité nationale, la santé publique ou les bonnes mœurs, et (iii) être nécessaire dans une société démocratique pour parvenir à ces buts – en d’autres termes, la restriction doit être proportionnée au but légitime poursuivi.

L’organisation FO allègue que, depuis 2013, l’impossibilité des partenaires sociaux de recourir aux clauses de désignation d’un organisme assureur de prévoyance ayant pour but de mutualiser les risques au niveau de la branche, est une ingérence injustifiée dans le droit de la négociation collective.

Selon FO l’article L.912-1 du code de la sécurité sociale, tel que modifié par la loi n°2013-1203, ne prévoit que la possibilité de recourir à des clauses de recommandation ce qui constitue une atteinte à la libre négociation des partenaires sociaux.

Le Comité rappelle que pareille ingérence enfreint l’article 6§2, sauf si elle est « prévue par la loi », poursuivant un ou plusieurs buts légitimes et « nécessaire », dans une société.

Le Comité relève que l’ancien article L.912-1 du code de la sécurité sociale (résultant de la loi n°94-678 du 8 août 1994, lequel avait entériné la pratique des clauses de désignation) permettait aux partenaires sociaux de prévoir une mutualisation des risques en désignant, dans un accord professionnel ou interprofessionnel, un ou plusieurs organismes assureurs chargés d’assurer ce risque. Une fois l’accord étendu, la clause de désignation rendait obligatoire l’adhésion de toutes les entreprises de la branche à l’organisme assureur désigné.

Le Comité note qu’en fondant sa décision sur la liberté contractuelle de l’employeur, le Conseil constitutionnel a fait prévaloir la liberté contractuelle sur le droit de négociation collective.

Pour le Comité, l’impossibilité de recourir au mécanisme des clauses de désignation entraîne de facto la limitation des pouvoirs de négociation des partenaires sociaux au niveau de la branche.

A cet égard, le Gouvernement ne démontre pas comment la recommandation d’un ou plusieurs organismes assureurs, permet de garantir l’effectivité réelle de la négociation collective des partenaires sociaux, contrairement à la désignation, qui conduit  à un accord contraignant en matière de protection sociale complémentaire.

Le Comité note que l’interdiction des clauses de désignation est très générale et ne prend pas en compte certaines branches aux besoins spécifiques, présentant des « mauvais risques » ou encore les activités où les salariés changent fréquemment d’employeurs.

Pour ces raisons, le Comité considère que l’interdiction générale des clauses de désignation n’est pas proportionnée au but légitime poursuivi.

Pareille restriction de désignation n’est pas proportionnée au but légitime poursuivi. Pareille restriction ne peut dès lors être considérée comme nécessaire dans une société démocratique.

Pour ces motifs, le Comité conclut qu’à l’unanimité, qu’il y a violation de l’article 6§2 sur la question de l’interdiction des clauses de désignation.

Cette décision est d’une importance capitale car la position de la France inspirée du Conseil constitutionnel a pour effet, concrètement, d’écarter la possible poursuite d’un objectif de solidarité dans les accords de protection sociale, n’en limitant de fait le recours que dans les régimes de sécurité sociale, légaux ou conventionnels s’y substituant.

Cette décision est une victoire pour la mutualisation, dans un domaine où elle prend tout son sens. La mutualisation permet en effet de préserver la logique de solidarité en matière de protection sociale complémentaire en même temps que l’égalité de traitement entre les salariés d’une même branche professionnelle.

La mutualisation des cotisations des entreprises de la branche permet de concrétiser l’objectif de solidarité poursuivi par les interlocuteurs sociaux.

La clause de désignation garantit par ailleurs un niveau de prestation et de cotisation, là ou les clauses de recommandation ouvrent le marché de la prévoyance à la concurrence lucrative.

Toutefois, l’Etat français peut ignorer cette décision, dans la mesure où le Comité européen des droits sociaux n’est pas un tribunal, pour autant cette décision constitue un appui politique considérable pour notre organisation.

Le rapport du Comité européen des droits sociaux a été transmis au Comité des ministres. Mais sans attendre, Force Ouvrière a demandé au Législateur et à l’Exécutif que soit intégré au Code de la Sécurité sociale un dispositif de mutualisation, au niveau de la branche, dans le domaine des complémentaires.

FO Actualités Retraites – N°87 – Décembre 2018