Article de Kahina SAIDI, journaliste WEB,
Publié le 11 février 2020 sur le site previssima.fr
(La reproduction de l’entretien est interdite sans autorisation expresse de Previssima)
Après un avis au vitriol rendu par le Conseil d’État fin janvier, les deux projets de loi visant à instituer un régime universel de retraite sont actuellement examinés par la commission de l’Assemblée nationale, avant leur arrivée dans l’Hémicycle le 17 février prochain pour une adoption définitive programmée à l’été 2020.
C’est un déluge d’amendements – pas moins de 22 000, qui ont été déposés pour faire obstacle à la réforme. Les débats, portés par des nerfs certainement à vif, risquent donc de tourner à la « guérilla parlementaire », dans une ambiance où plane le spectre du 49.3 et de la motion de censure.
En parallèle, les opposants à la réforme continuent de battre le pavé ; ainsi après plus de 60 jours de grève, la mobilisation ne faiblit pas. Parmi les adversaires de la première heure, le syndicat Force ouvrière (FO), qui, par la voix de Philippe Pihet, conseiller confédéral au sein du syndicat, a évoqué pour Previssima, les raisons de la colère.
Previssima – Malgré les concessions accordées par le Gouvernement, vous restez farouchement opposés au projet de réforme des retraites. Pour quelle raison ?
Philippe Pihet – Effectivement, sur l’aspect communication, nous observons des reculs de l’Exécutif quant aux différents régimes qui devraient perdurer ; mais toutefois, en théorie seulement puisque ce n’est pas aussi limpide lorsque l’on se penche sur le projet de loi.
Malgré tout, nous demeurons fermement opposés à la mise en œuvre d’un régime intégral par points, ce dernier ne pouvant être aussi intéressant qu’un régime de base par annuités, par essence plus solidaire.
Si tout le monde passe sur un régime de base en points, d’une part, les mauvaises années vont être prises en compte dans le calcul du droit à retraite, ce qui va engendrer une diminution du montant de la pension ; d’autre part, pour partir avec un bonus, il faudra travailler au-delà de l’âge d’équilibre.
Compte tenu du maintien de systèmes dérogatoires pour plusieurs corps de métiers, passe-t-on, in fine, d’un régime universel à un « régime d’exceptions » ?
Ce régime universel, qui aurait dû être un système unique, ne le sera pas du tout ; chaque jour, on en mesure la complexité. En réalité, non seulement les 42 régimes vont perdurer, mais un 43e en plus – le régime universel, sera créé.
En outre, il y aura un traitement différencié des assurés, selon qu’ils sont nés avant 1975, entre 1975 et 2004 et à partir de 2004.
Donc, rien que pour les salariés du Régime général qui sont évidemment les plus nombreux, ça ferait 3 micro-régimes qui coexisteront en fonction de la date de naissance, pendant encore au moins 25 ans, cela, sans compter les assurés qui partent avant ou après l’âge légal de départ.
Le retrait temporaire de l’âge pivot est conditionné à l’injonction à ce que les partenaires sociaux s’accordent, au cours d’une conférence de l’équilibre et du financement, sur des mesures d’âge justes assurant l’équilibre financier du système de retraite à court, moyen et long terme. Qu’en pensez-vous ?
L’objectif de cette conférence, à laquelle nous participons exclusivement pour exprimer notre réprobation quant à la réforme, est de proposer des solutions afin d’être à l’équilibre en 2027.
Dans un régime en annuités, il existe trois leviers :
- Une hausse des cotisations
- Une diminution des pensions
- Un report de l’âge de départ en retraite
L’Exécutif ne souhaitant ni augmenter les cotisations ni baisser les pensions, demeure une seule variable sur laquelle il est possible d’agir : l’âge.
Concernant l’âge, il y a deux 2 manières de procéder :
- On ne touche pas à l’âge légal de 62 ans tout en imposant 43 ans de cotisations, par accélération de la réforme Touraine de 2014 qui prévoit, pour obtenir le taux plein, d’allonger la durée de cotisations d’un trimestre tous les trois ans. Cette durée pourrait par exemple être portée à un trimestre tous les ans.
Peu d’assurés ayant commencé à travailler à l’âge de 19 ans, il faudra donc nécessairement travailler après 62 ans
- On conserve l’âge légal tout en instaurant un âge pivot, ce qui entraîne un recul de l’âge de départ en retraite, puisqu’en cas de départ à 62 ans, un abattement viager s’appliquera
Par ailleurs, afin d’équilibrer les comptes, certains proposent de se servir des 130 milliards de réserves – dont 70 milliards appartenant à l’AGIRC-ARRCO, du système de retraite ou encore, de solliciter la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), qui doit disparaître en 2024.
Vous avez réalisé une analyse de l’étude d’impact sur la réforme des retraites ; votre position en sort-elle renforcée ?
Dans les 1 029 pages de l’étude d’impact, nous avons retrouvé les mêmes travers que dans le rapport Delevoye, les exemples sont biaisés : le document présente 28 cas-types, et si vous n’allez pas au-delà de ce que vous lisez, 21 fois sur 28, la réforme Macron est intéressante ; en revanche, si vous appliquez le projet de loi, on recense 18 cas défavorables sur 28.
En effet, dans les exemples, le compteur d’âge est bloqué à 65 ans, ce qui conduit à faire disparaître une partie du malus qui s’applique pour un départ à 62 ans.
En outre, dans les cas mentionnés, tout le monde, quel que soit son statut (cadre, salarié, etc.) commence à travailler à 22 ans, ce qui est incohérent avec la réalité actuelle des carrières.
D’ailleurs, le Conseil d’État a rendu un avis extrêmement sévère au sujet de cette étude d’impact, fustigeant notamment les explications lacunaires contenues dans le document.
Dans le futur système, les hauts salaires ne verseront plus qu’une cotisation de 2,81 % – non génératrice de droits, au-delà de 10 000 euros/mois. Cette mesure aura un lourd impact financier pour l’AGIRC-ARRCO. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Afin de fixer le taux de cotisation dû, l’AGIRC-ARRCO s’intéresse au niveau de salaire des assurés.
Deux taux de cotisation s’appliquent en fonction du salaire perçu :
- Tranche 1 : pour les revenus allant de 1 € à 3 428 €/mois soit 1 plafond de la Sécurité sociale
- Tranche 2 : pour les revenus compris entre 3 429 € et 27 424 €/mois soit 8 plafonds de la Sécurité sociale
Si la réforme des retraites est appliquée telle quelle, un taux de cotisation de 25,31 %, générateur de droits, s’appliquera jusqu’à 3 plafonds (10 284 €/mois, ndlr). Les assurés percevant un salaire mensuel supérieur à 3 plafonds paieront une cotisation de 2,81 %, non-contributive.
Le problème posé, c’est qu’à l’AGIRC-ARRCO, il va manquer toute la portion allant de 3 plafonds +1 € jusqu’à 8 plafonds de cotisation. Pour la caisse, cela induit deux conséquences :
- Recettes : il y a un manque à gagner de près de 3,25 milliards d’euros/an
- Paiement des retraites : pour les retraités du régime universel qui percevaient un salaire mensuel de 25 000€, qui ont cotisé et ont acheté des points, comment va-t-on garantir le fait de leur servir leur pension avec des recettes amputées ?
Quelle alternative proposez-vous à ce système universel ?
Force Ouvrière n’a jamais nié les difficultés de financement du système actuel et nous pensons qu’il existe quelques leviers permettant d’améliorer la situation financière. Parmi eux :
- Une légère hausse des cotisations : 1/2 point de cotisation en plus pourrait rapporter entre 8 et 10 milliards d’euros
- Développer et améliorer la retraite progressive qui est actuellement anecdotique mais qui présente de véritables avantages : par exemple, elle permet à l’assuré de cotiser pour la retraite à 100 %, et ce, même sur un salaire versé pour un temps de travail de l’ordre de 60%.
Source : Previssima (https://www.previssima.fr/actualite/philippe-pihet-force-ouvriere-non-seulement-les-42-regimes-de-retraite-vont-perdurer-mais-un-43e-en-plus-le-regime-universel-ser.html)