Au début était le Chiffre : 42 régimes de retraite ! Quel fouillis, qui peut s’y retrouver et surtout qui gagne dans cette jungle ?

Le Haut-Commissariat, dans la première présentation envoyée aux organisations syndicales titrait (en Avril 18) « un système de retraites complexe, inéquitable et peu lisible » et en premier sous-titre « 42 régimes de retraite »

L’opinion publique est malheureusement faite ainsi que je ne connais pas mon voisin mais je sais qu’il a plus que moi.

Les croyances, y compris en matière de retraite, font des dégâts… Tant pis si une Commission pour l’Avenir des Retraites (CAR) installée par le gouvernement précédent indique que, finalement le taux de remplacement moyen- rapport entre la dernière paie et la première retraite- oscille entre 73 et 76%, tout emploi confondu et tout « statut » confondu.

Au bout de bientôt deux ans de concertation, dont on se demande encore ce à quoi elle a pu servir tant l’Exécutif a envoyé de messages contradictoires et anxiogènes à l’opinion, il paraît intéressant de tenter d’appréhender le paysage qui se dessinerait si la réforme passait.

Nous sommes donc parti de 42, mais par un prompt renfort de déclarations et aménagements, nous en sommes à combien ?

En essayant de faire la synthèse de ce que dit le gouvernement, un régime universel (dans les faits plutôt unique) verrait le jour en 2037, soit pour la génération née en 1975.

Bien, mais la montée en charge de l’âge pivot, à ce jour, concerne déjà la génération 1960, puisqu’à partir d’elle, il faudra 4 mois supplémentaire à l’âge légal de 62 ans pour avoir une pension complète.

On comprend par ailleurs que les retraités et les personnes nées avant 1960 garderaient leurs régimes actuels, quelle que soit la date à laquelle elles feraient liquider leurs droits.

En bonne logique nous avons donc les 42 régimes pour encore 50 ans ( 17 ans d’ici 2037, et pour le dernier partant un droit propre pendant 23 ans et une réversion pendant 10 ans, en fonction des tables de mortalité actuelles).

A ces 42, il conviendrait d’ajouter les dérogations accordées, ou dans tous les cas, promises récemment.

Sur ces dérogations, qu’elles soient en direction des pompiers, policiers, danseurs ou encore pilotes et personnels naviguant, sans oublier les marins, Michel BORGETTO*, bien connu des étudiants en droit de la sécurité sociale, les qualifie de « mini-régimes ».

Terminologie que nous reprenons d’autant plus facilement que dès le début des concertations, nous avions indiqué au Haut-Commissaire que le slogan un euro cotisé donne les mêmes droits quel que soit le statut du cotisant resterait in fine simplement une annonce électoraliste, loin de la réalité du terrain.

Notre analyse se trouve confortée par M. BORGETTO lui-même. Entre des âges d’application en fonction des générations, des règles de cotisations différenciées en fonction du statut, on devrait approcher les 60 régimes, plus le régime universel à compter de 2037.

Enfin, que dire sur la fameuse clause du grand père ?

La première idée qui vient à l’esprit est que l’on ne voit pas pourquoi ne pas faire bénéficier toute une population d’un nouveau régime aussi favorable…

La deuxième réflexion s’appuie quant à elle sur un autre mantra du Haut-Commissaire qui consistait à appuyer sur la nécessaire confiance à redonner aux jeunes générations dans le système par répartition.

Redonner confiance aux jeunes générations en les obligeant à « payer » des retraites que ce gouvernement considère comme « privilèges » alors que ces mêmes jeunes générations n’y auraient pas droit ?

Au total, entre lisibilité et confiance, deux thèmes directeurs forts des artisans de la réforme, il n’en reste aucun, sinon le seul qui n’ait jamais été mis en avant : la recherche d’économies sur les dépenses publiques, comme l’a déclaré M.DARMANIN au Sénat à l’automne dernier.

 

* article paru dans LE MONDE daté du 1 Janvier 2020

Philippe Pihet, Conseiller retraites de la Confédération