DÉCODAGE N°1

Le projet très controversé du gouvernement est « vendu » par les ministres et la majorité comme étant « juste » et favorable aux femmes qui ont des carrières hachées.

A partir du dossier de presse remis mercredi 11 décembre et des éléments qu’il contient, je vous propose une lecture technique, vous jugerez ensuite vous-même.

Le premier cas est celui de la maladie, le dossier prend l’exemple de Martine « gravement malade » et arrêtée pendant deux ans.

Sans surprise, le nouveau système est présenté comme avantageux, est-ce si pertinent ?

Aujourd’hui une salariée (ou un salarié) du privé en arrêt de travail perçoit des indemnités journalières. La législation CNAV stipule alors que les trimestres au cours desquels Martine perçoit les IJ sont validés.

La législation AGIRC ARRCO prévoit une attribution de points équivalente au nombre de points achetés l’année précédant l’arrêt.

Le document ministériel indique que « l’arrêt peut générer une perte de pension de 5% ». Impossible de trouver d’où vient ce chiffre ! Comme le dit le Haut-Commissaire lui-même les simulations ne sont pas fiables tant que l’on ne connaît tous les paramètres…

S’il est vrai que ces deux années pour Martine seront des « mauvaises années » en termes de salaire, il est également vrai qu’elles feront partie des « 17 mauvaises » à opposer aux 25 meilleures sur lesquelles le salaire annuel moyen sera calculé.

En résumé, sauf pour Martine à enchainer plus de 17 mauvaises années, ces deux ans d’arrêt maladie n’auront pas d’incidence sur sa pension. Qu’en est-il réellement dans le futur système ? Le document indique que Martine acquiert 693 points par an, diantre, c’est avantageux ?

Pas si sûr : à partir des données gouvernementales livrons-nous au calcul de points que Martine acquiert lorsqu’elle n’est pas en arrêt maladie.

Les paramètres sont les paramètres contenus dans le document et le « rapport DELEVOYE » de juillet dernier (cotisation 28,12 %, valeur d’achat du point 10 €).

Sur un an, Martine perçoit 2 280 € X 12 mois = 27 360 €, sur cette somme, la cotisation retraite est de 27 360 X 28,12 %= 7 693,63, soit 769,36 points (il faut diviser la cotisation par la valeur d’achat du point).

Le document nous indique que Martine « dans le futur système » aura 693 points par an.

Martine perd donc de manière certaine (769,36 – 693) X 2=152,72 points, et à vie…


DÉCODAGE N°2

S’il existe un sujet anxiogène parmi les sujets anxiogènes d’une réforme anxiogène, c’est la réversion !

Rappelons que les réversataires sont à 89% des femmes, dont les pensions de droit direct sont nettement inférieures aux pensions masculines.

Rappelons également que la retraite « ne peut pas tout » ; les injustices subies au cours de sa carrière se reportent, même s’il y a des correctifs, sur le niveau de pension.

Le gouvernement vante son approche de la pension de réversion en affichant un niveau de 70% du revenu du ménage.

70% des revenus du ménage, exemple à l’appui dans le document remis le 11 Décembre dernier « ça ne se refuse pas », en revanche ça s’étudie…

Le couple que forme Gérard et Monique perçoit un revenu global de 2 500 €, la réversion de Monique sera alors de 950 € dans le futur système contre 925 € aujourd’hui, 25 € de plus, ça compte.

Justement à propos de compte, le calcul de la réversion, à partir de la pension de Gérard paraît curieux.

475 € de réversion de la CNAV nous indique le document, donc si 475 € font 54 % de la pension de base de Gérard, sa pension est de 880 €.

Le même raisonnement vaut pour la complémentaire : si 450 € représentent 60 %, alors la pension complémentaire est de 750 €.

Au total donc Gérard perçoit (percevait) 880 + 750=1 630 € !

A cet instant le taux de 70% doit s’appliquer à 1 630 + 800=2 430 €, et 70% de 2 430 € font 1701 €, la réversion de Monique sera donc de 1 701-800= 901 € au lieu des 950 € affichés par le gouvernement.

Favorable aux femmes ?

Et que dire des décès précoces ! Même s’il existe peu de littérature sur le sujet, j’ai trouvé une étude DREES (qui date de Juillet 2012).

Cette étude indique que le nombre de personnes de moins de 55 ans « ayant déjà perdu par décès un conjoint » était estimé à 470 000 !

Pourquoi cette précision ? Tout simplement parce que la « réforme juste et favorable aux femmes » stipule que la pension de réversion ne sera versée au mieux qu’à partir de 62 ans.


DÉCODAGE N°3

A défaut de précisions supplémentaires, la lecture détaillée du dossier de presse réserve, pour le moins, quelques interrogations, je vous livre trois sujets pour que vous puissiez vous faire une opinion.

Un minimum de pension  à 1000€

Le dossier de presse, seule source à ce jour d’information officielle, indique que le minimum de pension, pour une carrière complète  de 1 000 €.

Qu’en est-il aujourd’hui dans le privé ? Pour une carrière intégrale au SMIC, entre base et complémentaire, la pension globale est d’environ 980 €.

Sur ce minimum contributif, la vraie question c’est l’absence de « coup de pouce » au SMIC qui ferait « grimper » le 85 % contenu dans la loi de 2003.

Une carrière complète au SMIC.

Il n’existe pas de littérature récente sur le sujet, il est donc très difficile de chiffrer le nombre de salariés concernés.

La DARES avait évalué ce nombre à 7 % en 2012, une étude de 2011( Economie et Statistique 448-449) précise que la part de salariés qui « restent au voisinage du SMIC de façon permanente » est de 6,5 %.

Même si c’est toujours trop, faire un « argument de vente » sur ces salariés relève de l’indécence.

Toujours dans le dossier de presse, page 17, on lit que Philippe qui a commencé à travailler à 22 ans (en 2025) est rémunéré toute sa vie au SMIC…

Le système universel lui promet une pension « mensuelle d’environ 1 900€, MAIS après 45 ans de carrière, ce qui fait une retraite à 67 ans…

La règle d’or

C’est le sport national : les gouvernements précédents avaient eux aussi instauré des règles d’or en matière budgétaire.

Que dit celle-ci ? « la valeur du point ne pourra pas baisser »

Ah, bonne nouvelle, mais de quel point parle-t-on ?

La valeur de service du point (qui détermine le montant de la retraite) sera revalorisée selon les prix (page 6)

Quid de la valeur d’achat ? Pas de réponse !

Dans la pratique si vous indexez la valeur d’achat du point sur les salaires et la valeur de service sur l’inflation, le rendement (fixé dans le rapport DELEVOYE à 5,5%) va diminuer.

En d’autres termes, lorsque la valeur d’achat augmente, pour le même salaire, vous acquerez moins de points, mais ça, ça se voit surtout au moment de la liquidation de la pension…

Toujours sur ce sujet, le document nous présente un encadré hors sol, jugez plutôt.

Dans un système en points, chaque année, vous achetez un nombre de points en fonction, nous venons de le voir, de la valeur d’achat du point et de vos cotisations.

C’est ce qui se pratique depuis toujours à l’AGIRC ARRCO. Par exemple l’année 2017 vous avez cotisé pour acquérir 300 points, ceux-ci sont à vous et personne ne peut revenir dessus, c’est même la définition d’un régime à cotisations définies.

Si vous demandez votre pension en 2030, il sera additionné années après années tous les points que vous avez acquis, il n’y a pas de ‘revalorisation’ pas plus sur l’inflation que sur les salaires.

(Pour vous en convaincre, téléchargez votre relevé de points)

Amateurisme, incompétence ou manipulation ?

Philippe Pihet, Conseiller retraites de la Confédération