Le projet de loi entre dans sa phase parlementaire, du moins pour ce qui ne sera pas rédigé par ordonnances. A ce sujet, il convient de souligner l’importance du nombre de ces ordonnances, même le Conseil d’Etat l’a relevé, soulignant un risque constitutionnel !

Un débat se fait jour sur l’utilisation ou non de l’article 49-3 de la Constitution, pour ma part, étant donné que tous les sujets « qui fâchent » sont renvoyés à la responsabilité de l’Exécutif, le pouvoir en place pourra se draper dans le respect des prérogatives du Parlement…qui lui-même se sera amputé de ladite responsabilité.

Avant cette phase, le gouvernement a diffusé son étude d’impact quant au projet de loi sur l’instauration d’un système universel.

Bien sûr, les plus de mille pages justifient ce changement.

Considérant le nombre d’amendements déposés, et pendant qu’il est encore temps de communiquer sur les principes voulus dans ce projet, je vous propose quelques réflexions générales sur des pages de cette étude.

  • Dès la lecture du sommaire, on voit l’orientation prise pour ce projet, par exemple « l’âge effectif de départ en retraite augmente progressivement, mais il reste nettement inférieur à celui des autres pays de l’OCDE »

 Deux ans et quelques mois après le début de la concertation, le gouvernement n’a pas changé d’objectif : il faudra travailler plus longtemps, autre formule pour, in fine, diminuer le « poids des retraites » dans la dépense publique.

Lors des entretiens avec le Haut-Commissaire, nous avions très tôt évoqué cet aspect économique, en demandant, entre autres, le maintien des dépenses retraite à leur niveau actuel en termes de points de richesse nationale (13,8%).

Nous n’avons jamais eu la réponse…

En ce début d’année 2018, le HCRR a fait quelques fois référence aux pays de l’OCDE qui avaient réformé leur système. La Suède avait été évoquée, ce qui nous a rappelé les propos d’un haut fonctionnaire suédois lors du colloque du COR en 2008.

Extraits des propos de OLE SETTERGREN, secrétaire général de la commission gouvernementale en charge de l’unification des régimes SPV  (réforme suédoise), tenus lors du colloque du COR le 16 octobre 2008 :

 Les règles de calcul de la pension ont été́ complétement modifiées. En particulier, la notion d’âge normal de la retraite n’existe plus dans le système de retraite public : il est possible de partir à la retraite dès 61 ans. Elle subsiste cependant à 65 ans pour la pension garantie et pour les régimes de retraite professionnels. Le plafond est dorénavant indexé sur les salaires.

 Pour quelles raisons la Suède a-t-elle fait cette réforme ?

La principale raison était économique. Dès le début des années 90, les dépenses du système de retraite étaient déjà̀ supérieures aux montants des cotisations des assurés. C’était uniquement grâce aux intérêts générés par les fonds de réserve que le système continuait à afficher des surplus financiers.

La réforme substitue au système traditionnel à prestations définies, deux systèmes à cotisations définies, l’un en répartition et l’autre en capitalisation. L’objectif recherché était de combiner la stabilité financière d’un système à cotisations définies et l’efficacité économique d’un régime public par répartition.

 Quelques mots sur les fonds de réserve. Ils ont été́ constitués par les excédents (de cotisations reçues par rapport aux pensions versées) qu’a connus le système dès son origine en 1960 et jusqu’en 1982. Le système est redevenu excédentaire depuis 2000. Au 31 décembre 2007, les fonds de réserve représentaient une somme équivalente à 30 % de PIB.

Plus loin dans son exposé M. SETTERGREN évoque la confiance des suédois dans le nouveau système :

Il est difficile de mesurer l’adhésion des Suédois au niveau système. Un peu moins de 50 % d’entre eux estiment mal le connaître et déclarent ne lui faire que faiblement confiance.

A contrario, l’évaluation de leur retraite future correspond généralement à leurs attentes. Il reste à voir comment le système suédois se comportera dans la crise financière actuelle.

Si nos prévisions, qui se basent sur des hypothèses de conjoncture économique de court terme dépréciée, se réalisent, nous aurons des indexations négatives des pensions des retraités en 2010.

 Quelles seront les réactions des suédois ?

Les manifestations de retraités suédois fin 2019 donnent un aperçu…Il faut cependant souligner que le HCRR avait indiqué que les systèmes des pays voisins ne pouvaient être dupliqués…

On le croit volontiers, ne serait-ce qu’en regard du niveau de réserves… Même en faisant main basse sur l’ensemble des réserves qui existent à ce jour dans les différents régimes obligatoires (de base ou complémentaires) on est très loin du compte !

  • Partie 2 de l’étude d’impact (page 80)

Le système universel de retraite sera, comme le système actuel, un régime par répartition : les pensions de retraites demeureront payées par les actifs. Avec un niveau de cotisation prévisionnel équivalent à celui d’aujourd’hui, le niveau de répartition du nouveau système de retraite est aussi conservé.

 Une mise au point : le choix de la répartition au sortir de la guerre a été fait pour deux raisons principales, la première est l’échec de la mise en place des retraites ouvrières et paysannes (ROP) basées sur la capitalisation (loi du 5 avril 1910), les pensions ont été rongées par l’inflation, qui fin des années 40 était aux environs de 40 à 50% !

Un autre rappel historique ; le seul pays qui est passé de la répartition à la capitalisation, c’est le Chili de Pinochet.

Un mensonge : nous l’avons déjà évoqué ; le simple fait de réduire l’assiette de cotisations de 8 à 3 plafonds pour les ressortissants AGIRC ARRCO entraîne une perte de recettes de l’ordre de 3,25 milliards € dès la première année, sans évoquer le maintien des droits acquis qui nécessiteront un effort contributif estimé par l’AGIRC ARRCO à environ 80 milliards € sur le long terme.

Rapportée aux chiffres retenus par le HCRR (325 milliards € de dépenses de retraite en France), le projet comporte dès sa création un déficit de 1%. Lequel, dans un régime unique en points ne pourra être résorbé qu’en jouant sur la valeur du point…

Dans la même veine, page 82, l’instauration d’une règle d’or financière, imposant à la gouvernance d’assurer l’équilibre financier du régime sur une période de 5 années consécutives…sous le contrôle du cadrage financier de la règle d’or et des trajectoires financières adoptées par le Parlement.

 Outre le fait que les gestionnaires de l’AGIRC ARRCO n’ont pas attendu ce gouvernement pour piloter leur régime en ayant à l’esprit un équilibre à 15 ans, on voit ici la marge de manœuvre de la future gouvernance soumises aux lois financières de l’Etat (LF et LFSS).

La création d’un fonds de réserves universel des retraites, qui permettra d’absorber les variations démographiques et économiques.

Nous avons vu plus haut le niveau de réserves que possédaient les suédois…Et comme inventivité, le nouveau monde nous propose de créer le FRR !

Nous avions dit au HCRR notre défiance, instruite par l’expérience, de ce genre de fonds.

Le FRR, si les différentes majorités avaient respecté la loi originelle, disposerait de 150 milliards € de réserves, de quoi absorber « la bosse démographique du papy-boom ».

Une chose est certaine, le temps politique n’est pas compatible avec le temps long de la construction de la retraite. A titre d’exemple, citons un ancien secrétaire confédéral qui expliquait qu’une retraite c’est 70 ans : 40 ans de cotisations, 20 ans de droits propres et 10 ans de droits dérivés.

J’ajoute que c’est aussi le temps de 14 campagnes électorales

Philippe PIHET, Conseiller Retraites de la Confédération