Une nouvelle étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) dessine un portrait préoccupant de notre système de financement de la santé. En 2019, les ménages consacraient en moyenne 15% de leur revenu aux dépenses de santé, mais cette charge révèle des disparités inacceptables qui questionnent notre modèle social.
Les chiffres sont sans appel : alors que les retraités très aisés consacrent seulement 11% de leur revenu à la santé, les actifs en emploi très aisés y consacrent 18%. Plus troublant encore, les actifs modestes supportent un taux d’effort de 15%, contre 14% pour les retraités de même niveau de vie. Ce paradoxe révèle une architecture de financement qui pénalise ceux qui travaillent au détriment de ceux qui ont les moyens de contribuer davantage.
La situation devient dramatique pour 1% des ménages qui consacrent jusqu’à 34% de leur revenu à la santé, avec des restes à charge moyens de 2 400 euros par an. Ces ménages sont majoritairement modestes (76%), souvent confrontés à des dépenses dentaires mal couvertes ou victimes du non-recours à la complémentaire santé solidaire.
Les racines structurelles de l’injustice
Cette répartition inéquitable s’explique par la structure même de notre système de financement. Les cotisations sociales maladie et la CSG, qui représentent 11% du revenu moyen, pèsent massivement sur les actifs en emploi. Les retraités très aisés échappent largement à cette contribution : ils ne versent que 1% de leur revenu en cotisations maladie, contre 8% pour les actifs aisés.
Paradoxalement, notre système devient régressif pour les retraités : plus ils sont aisés, moins ils contribuent proportionnellement à leur santé. À l’inverse, il reste progressif pour les actifs dont le taux d’effort augmente avec le niveau de vie, créant une double injustice générationnelle et sociale.
Le non-recours à la complémentaire santé solidaire aggrave cette situation. Près de 48% des bénéficiaires potentiels n’y ont pas recours, souvent par méconnaissance ou découragement face à la complexité des démarches. Cette aide, pourtant essentielle pour les ménages modestes, reste sous-utilisée alors qu’elle pourrait considérablement réduire les inégalités d’accès aux soins.
Trois propositions pour restaurer l’équité ?
Face à ce diagnostic accablant, trois options s’imposent pour réconcilier notre système de santé avec ses principes fondamentaux d’équité et de solidarité.
- Le bouclier sanitaire : une protection universelle
La mise en place d’un bouclier sanitaire représente la réforme la plus urgente. Ce mécanisme, déjà expérimenté aux Pays-Bas et en Suisse, plafonnerait le reste à charge des ménages à un pourcentage de leur revenu annuel- par exemple 3 à 5% pour les plus modestes.
Le principe est simple mais révolutionnaire : si le plafond est dépassé, les dépenses ultérieures seraient remboursées à 100% jusqu’à la fin de l’année. Cette mesure protégerait immédiatement les ménages les plus vulnérables tout en permettant d’augmenter les tickets modérateurs pour les plus aisés, contribuant ainsi au rééquilibrage des comptes sociaux.
- Rééquilibrer les cotisations selon les capacités contributives
La révision des taux de cotisations sociales maladie doit corriger l’avantage injustifié dont bénéficient les retraités aisés. Plusieurs pistes méritent d’être explorées :
- Élargir l’assiette de la CSG sur les pensions de retraite pour les ménages les plus aisés
- Moduler les cotisations complémentaires des retraités selon leur niveau de ressources
- Créer une contribution exceptionnelle sur les patrimoines les plus importants pour financer la santé
Cela restaurerait la progressivité du système pour tous, indépendamment du statut d’activité, respectant ainsi le principe « de chacun selon ses moyens.
- Simplifier et automatiser l’accès aux droits
La lutte contre le non-recours aux aides exige une refonte complète des procédures d’attribution. L’automatisation des droits, sur le modèle Dossier de remboursement en ligne (DRL) doit devenir la règle :
- Attribution automatique de la complémentaire santé solidaire sur la base des données fiscales
- Simplification des démarches par la dématérialisation et l’interopérabilité des systèmes
- Campagnes d’information ciblées vers les publics précaires et les nouveaux arrivants
Une urgence sociale
Ces options ne sont pas seulement techniques : elles constituent un impératif. Dans une République qui proclame l’égalité devant la maladie, il est inacceptable que 30% des Français renoncent à se soigner pour des raisons financières.
L’étude de la DREES révèle l’ampleur du défi : notre système de santé, l’un des plus performants au monde, creuse paradoxalement les inégalités entre actifs et retraités, entre modestes et aisés.
Restaurer l’équité n’est pas seulement une question de justice sociale, c’est une condition de la pérennité de notre modèle de protection sociale.
Reste la volonté politique de s’attaquer à ces inégalités et de remettre la solidarité au cœur du financement de la santé.
L’urgence sanitaire d’hier doit laisser place à l’urgence sociale d’aujourd’hui : celle de construire un système véritablement équitable, où chacun contribue selon ses moyens et accède aux soins selon ses besoins.