À la demande du Premier ministre Édouard Philippe, la députée du Nord Charlotte Lecocq a mené une mission de réflexion sur le système de prévention de risques professionnels en France. Son rapport, rendu public fin août, inquiète les agents du service prévention de la Carsat des Pays de la Loire qui se sont regroupés en collectif.

Ils s’appellent Vincent Boisumeau, Nicolas Pesigot, Annie Jacq, Guy Chanut et Hervé Grelier. On les appelle les « préventeurs ». Leur fonction ? Contrôleurs de sécurité, ils veillent à la qualité des conditions de travail dans les entreprises de la région. Ils sont une trentaine à assurer cette mission au sein du service prévention de la Carsat (retraite et santé au travail) des Pays de la Loire. Tous inquiets de l’évolution proposée par le rapport Lecocq.

Une profession assermentée

Les préventeurs ont tous prêté serment devant le juge. Agréés par la Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie), ils ont droit d’accès à toutes les entreprises. « Le gros de notre métier, c’est d’observer, de regarder les gens travailler  » , explique Nicolas Pesigot. Mais ils sont aussi tenus au secret professionnel, s’engageant à ne rien révéler des secrets de fabrication ou des résultats d’exploitation dont ils pourraient avoir connaissance.

Une expérience de l’entreprise

On ne choisit pas de devenir préventeur à la sortie de ses études. D’ailleurs, l’accès à cette fonction n’est ouvert qu’aux personnes pouvant justifier au moins cinq années d’expérience en entreprise. En poste depuis dix ans, Annie Jacq s’est portée candidate après avoir travaillé dans la chimie, les semi-conducteurs puis le tertiaire. Vincent Boisseau s’occupait de la démarche qualité dans le secteur agroalimentaire avant de rejoindre le service prévention de la Carsat ; « J’avais envie de travailler davantage sur de l’humain, sur l’évaluation des risques. » Tous ont fait le choix d’une profession que la plupart ont découvert en s’intéressant à un appel à candidatures.

Prévenir et contrôler, une double mission

Les préventeurs jouent un rôle de conseil, le plus souvent à la demande des entreprises. Ils peuvent alors s’appuyer sur le travail des labos et des centres de mesure pour apporter les meilleures réponses aux problématiques posées. Ils exercent aussi leur mission de contrôle, notamment à la suite d’un accident grave du travail. En complémentarité des enquêtes de police et de l’inspection du travail, leur analyse vise à tirer des enseignements du sinistre. « L’idée, c’est de remonter les informations afin de pouvoir encourager l’amélioration des dispositifs, dans toutes les entreprises concernées  » , explique Hervé Grelier. Les préventeurs sont aussi chargés de veiller à la mise en place des mesures arrêtées dans le cadre de risques particuliers, comme les fumées de soudage.

Quelle expertise demain ?

Le collectif des agents du service prévention de la Carsat des Pays de la Loire ne rejette pas le rapport Lecocq en bloc. Il soutient l’idée d’un guichet unique « C’est vrai que les entreprises sont un peu perdues. Il y a un effet millefeuilles avec beaucoup d’intervenants  » ,reconnaît Guy Chanut. « Ce que nous contestons, c’est la dissociation du conseil et du contrôle. Jusque-là, il y avait une notion de suivi, une vraie notion d’expertise  » , précise Annie Jacq. Autre motif d’inquiétude : la mission de conseil serait confiée à une agence régionale et uniquement déclenchée à la demande de l’entreprise, qui pourrait aussi avoir recours à des consultants privés. « Si cela se met en place, dans dix ans, on recensera davantage d’accidents du travail » , prédit Hervé Grelier.

La Carsat garderait alors uniquement son pouvoir de contrôle. « Sans suivi préalable et sans expertise, c’est le risque de contrôles déconnectés de la réalité  » , prévient Vincent Boisumeau. Les organisations patronales voient plutôt d’un bon œil cette dissociation, jugeant que la notion de contrôle constituait un frein à la démarche de prévention. Un argument que réfutent les agents de la Carsat. « On nous a parfois réduits à l’image du gendarme qui fait peur. C’est incompréhensible. 90 % de notre travail, c’est du conseil ! Nous échangeons en confiance avec les chefs d’entreprise. En 2016, seulement 0,5 % de nos contrôles se sont traduits par une sanction, à savoir la majoration du taux de cotisation. »

Article Ouest France  Yves Scherr publié en ligne  le 28 /11/2018