L’analyse de Philippe PIHET, Conseiller retraites de la Confédération

Ce vendredi 24 Janvier, le Conseil des Ministres a examiné et arrêté le projet de loi portant réforme du système de retraites dans notre pays.

La première chose qui frappe, avant même de regarder en détail ce projet, c’est l’avis du Conseil d’Etat. Pour suivre le dossier retraite depuis plus de 26 ans, c’est la première fois que la Haute juridiction rend un avis aussi sévère, mettant même en garde le gouvernement sur des risques d’inconstitutionnalité !

Opposée, avec arguments à l’appui depuis le début du processus de projet de réforme, notre organisation pourrait se contenter d’attendre le « verdict » du Conseil constitutionnel.

Ce serait prendre le risque majeur de s’en remettre à un tiers  qui par le passé a tout de même validé la fin des clauses de désignation en matière de prévoyance complémentaire collective, et, plus loin dans le temps, a validé les dispositions sur les 35 heures qui mettaient à mal les conventions collectives.

Il reste à un syndicat la voie de la mobilisation. Celle-ci passe par une phase d’explications, ce que nous faisons depuis un moment déjà, au fur et à mesure que le gouvernement publie des écrits.

Parmi ceux-ci, une « synthèse » du projet sous forme de diapositives (la méthode au moins n’a pas changé depuis le début des « concertations » il y a bientôt deux ans).

Il y aurait des commentaires à faire à toutes les pages, voir à toutes les phrases !

Nous en avons sélectionné seulement quelques-unes.

Pour faciliter la lecture, nous reprenons la méthode déjà utilisée, les reprises de texte sont en italiques et nos commentaires suivent.

Page 4, comparaison des niveaux de vie des seniors dans les principaux Pays OCDE.

Sans surprise, le COR l’a constaté depuis longtemps, le niveau de vie moyen des seniors français est supérieur au niveau de vie de l’ensemble de la population.

Pour arriver à ce chiffre de 106 %, les experts constatent que les seniors sont bien plus propriétaires que locataires, ils en tirent la conclusion qu’aux revenus du ménage seniors il faut ajouter le « gain » du loyer qu’il ne paie pas…

Ignorant (en termes économiques) l’effort fait par ces seniors durant leur vie active pour acheter leur logement.

On appelle cela un « loyer fictif », qui contrairement aux emplois du même qualificatif, n’apporte pas un euro de plus au pouvoir d’achat.

Deuxième « enseignement » sur cette page, les seniors français sont les mieux lotis de la comparaison, petite musique lancinante qui dure depuis longtemps et qui est faite pour in fine ramener les pensions globales au niveau de dépenses en pourcentage de PIB sur la « moyenne européenne » qui est à 12 % ( nous sommes aujourd’hui à 13,8 %)

Page 5 « mais un système qui ne protège plus contre la précarité d’aujourd’hui » plus loin « de petites quotités de travail peuvent ne pas donner lieu à validation de droits alors même que des cotisations sont perçues, en raison de la règle de validation des trimestres (en deçà de 150 h/SMIC par trimestre, aucun droit n’est ouvert) ».

Nous l’avons déjà vu, cette manipulation grossière est un déni. Dans le privé, même si vous cotisez seulement sur une base de 150 heures au SMIC (valeur Janvier N) sur toute l’année, vous acquérez un trimestre, donc vous vous créez un droit.

150 heures de travail payées au SMIC sur une année représente un travail de (150/52 semaines) moins de trois heures par semaine.

Et pourquoi ne ferions-nous pas, nous aussi des calculs avec les règles contenues dans le projet ?

150 heures au SMIC en 2020, représente un salaire brut de 150 x 10,15 €= 1 522,50 € soit des cotisations pour un montant de 1522,50 € x 25,31%= 385,34 €

soit 38, 53 points qui à la valorisation contenue dans le « rapport DELEVOYE » feraient 1,76 € de retraite par mois…

Page 8 « le poids des retraites demeure toutefois important en comparaison internationale …+3 points versus l’Allemagne et le Royaume Uni ».

Tiens, la réforme n’est donc pas uniquement tendue vers plus de justice ?

En Allemagne, le nombre de retraités menacés de pauvreté est de 18,7 %, en France, 7,3 % (source Eurostat Novembre 2018), besoin d’ajouter un commentaire ?

Page 14 « un système complexe composé de 42 régimes de retraites ».

Alors que le projet présenté, lui, est simple et lisible…Il s’appliquerait selon sa génération, son statut ( page 20) selon son année de naissance (avant 1975, 1980 ou encore 1985, à partir de 2004) les droits seront calculés différemment.

Une profession doit se frotter les mains : les éditeurs de logiciels de paie !

Dans un même organisme, en fonction de la durée de la période de transition, il pourrait y avoir trois cotisations retraites différentes .

L’EN3S suffira-t-il ou il faut recruter parmi les anciens d’une grande Ecole menacée ?

Page 22 « un euro cotisé ouvre les mêmes droits » et en titre de la diapositive « un nouveau système plus redistributif ».

Aujourd’hui, au régime général et jusqu’à un plafond on cotise à 15,45 % (8,55+ 6,90) et au-delà de ce plafond une cotisation de solidarité est appelée à 2,30 % (1, 90+0,40), taux auxquels il faut ajouter les cotisations AGIRC ARRCO.

Sur le « plus redistributif » cela donc existe déjà, ce qui est proposé demain c’est un taux de 25,31 % qui donne des droits, et un taux de 2,81 % au titre de la solidarité, ce dès le premier euro.

En d’autres termes, aujourd’hui les salaires au-dessus d’un plafond alimentent la solidarité, demain, même les salaires les plus modestes alimenteraient ladite solidarité, ils participeraient donc à la redistribution ce qui de fait atténue l’effet recherché.

Page 30 « la réforme est conçue dans le respect de la trajectoire de dépenses du système actuel ».

La trajectoire en question a été votée par la majorité parlementaire le 22 Janvier 2018, loi n° 2018-32, annexe III. C. trajectoire des administrations de sécurité sociale.

Le tableau de cette annexe est explicite (même s’il a été élaboré avant les mesures « gilets jaunes » il semble qu’il soit toujours d’actualité).

On lit que les dépenses des ASSO, en points de PIB doivent diminuer de 1,5 points (environ 30 milliards €) entre 2017 et 2022. Plus loin : 2. La modération des dépenses des branches vieillesse et famille contribuera à l’objectif global de redressement des finances publiques.

Si, comme le Conseil d’Etat l’a souligné, le projet dans son étude d’impact est « lacunaire », dans l’objectif final, il est lisible : la retraite devient une variable d’ajustement des dépenses publiques.

Tout le monde a accès à ces informations, toutes celles et ceux qui s’intéressent au système de retraite de notre pays, système universel puisque toutes les  catégories de travailleurs ont (au moins) un régime obligatoire de retraite, savent que lorsque la « feuille de route » de la conférence de financement interdit de toucher aux cotisations comme aux pensions, il ne restent que les mesures d’âges.

On connaît plus fun en matière de cocktails !

Il ne peut y avoir de dupe, seulement des complices.