A la suite de nos publications relatives à la mission IGAS-IGF, voici le témoignage d’un ADD qui bien sûr n’engage pas le SNFOCOS mais qui décrit les réalités du terrain bien loin des dogmes parisiens.
Il y a un fantasme récurrent d’économies d’échelle qui traine dans tous les manuels d’économie et de management. En s’unissant deux entreprises peuvent mieux exploiter leur investissement, bénéficier de réseaux de distribution communs, centraliser les services supports etc.
C’est un fait que ça marche au quotidien et que nous le pratiquons dans nos organismes, par exemple en unifiant 2 services IJ ou PN.
La mutualisation nous a appris à être à la fois plus performants mais aussi plus prudents.
La centralisation de certaines activités sur quelques caisses nous a permis d’assurer plus facilement la continuité d’activité. La question du maintien des effectifs nécessaires est toujours d’actualité par contre, sinon la dégradation du service ne touchera plus les assurés d’une seule caisse mais des régions entières. C’est un autre débat ou pas.
D’autres centralisations se sont faites avec moins de succès évidents, notamment sur des services support où le lien avec l’usager interne s’est distendu, créant des tensions, des problèmes de correspondance entre le rythme des évènements, le rythme des décisions et le rythme de production de l’organisme prenant. Le « c’est pas moi, c’est l’autre » a tendance à se développer d’autant plus rapidement que l’autre est plus loin.
Mais quels qu’ils soient, dans notre monde ou dans l’économie, les rapprochements doivent obéir à des conditions communes pour réussir et avoir un retour sur investissement:
- Les activités doivent être proches : pour pouvoir utiliser les mêmes machines, les mêmes circuits, la même pub, les mêmes agents
- Les risques doivent être similaires
- Les outils doivent être compatibles et communiquer
Or sous la dénomination « Sécurité sociale », nous avons des activités très différentes, des risques différents, et des outils différents. Pas étonnant que nous ayons 4 branches.
Oui, les activités proches peuvent se concentrer, surtout si elles ont un champ très délimité. Et même au sein d’une branche, on se heurtera toujours à un moment donné à un problème de taille, pour la gestion, le pilotage, la RH, et le sentiment d’appartenance qui motive les troupes au quotidien.
Mais quel est le point commun entre la vieillesse, les allocations familiales, la maladie et le recouvrement ?
Une mission déléguée CNAM a travaillé sur les axes possibles de coopération interbranches : elle a déterminé que des parcours clients peuvent être créés entre branches, mais imaginer des services de production communs, c’ est illusoire au regard de la complexité des législations.
Et au prix d’un technicien d’organisme, nous aurons bien du mal à recruter les petits génies qui maitriseraient à la fois, toute la réglementation, tous les outils, toutes les procédures, pour répondre de manière fiable à nos assurés, allocataires, entreprises, PS, établissements… avec le sourire bien sûr !
Oui, pour gagner en efficience sans nuire à la qualité, le traitement des risques doit être similaire : la cartographie des risques entre branches est loin d’être unifiée, ce qui veut dire qu’on ne peut que superposer les contrôles et les reportings.
Je m’inquiète pour le pilotage !
Oui, nous pouvons capitaliser sur des outils d’une autre branche : l’assurance maladie a emprunté GRH aux allocations familiales pour sa paye, avec une organisation en centres nationaux.
Mais elle n’a pas su tirer à temps bilan des difficultés déjà existantes du réseau famille pour adapter son modèle d’organisation.
Au final, les gains d’effectifs au sein des organismes ont du mal à être visibles et nous devons maintenir des compétences alors que nous avons perdu les effectifs.
De leur côté, les centres nationaux ont du mal à absorber toute la production des caisses. Même au sein d’une branche, il est « difficile » d’avoir une politique RH égale, lisse et sans à-coup dans tous les organismes en même temps.
Et il ne s’agissait que de la paye d’agents ayant la même convention collective !
Plus généralement, il est déjà difficile de faire évoluer nos gigantesques systèmes informatiques au gré de la réglementation dans une seule branche. Il est difficile et très prenant de les maintenir en sécurité, bien protégés des attaques externes, voire internes. Là aussi, unifier consisterait à superposer. Le gain est difficile à voir. Et même si quelques milliards d’euros pouvaient être récupérés sur un tel projet, cela prendrait plusieurs années, avec les risques de catastrophe industrielle associés.
Mais surtout, ce qui m’inquiète dans ces « enjeux d’intérêts communs », c’est que plus on regroupe, plus on délite la responsabilité, la motivation, tant pour les agents que pour les dirigeants, dans un monde où plus personne ne maîtrise plus rien., ou plus personne n’a de pouvoir sur rien.
La technique du parapluie va se généraliser.
Et le nuage, il est haut , très haut… alors pourquoi je me casserais la tête si je me trouve un petit coin pour m’abriter ?